Jimi Hendrix

Né en 1942 d'un père aux origines indiennes, noires, blanches et Irlandaises et d'une mère noire d'à peine dix-huit ans, Johnny Allen Hendrix ne voit pas son père durant ses trois premières années, celui-ci étant retenu à l'armée. Lorsque le père revient au foyer, il s'aperçoit que sa femme ne s'occupe pas de son enfant et embarque le petit Hendrix rebaptisé James Marshall. Le couple renouera et se séparera plusieurs fois jusqu'à la mort de la mère, Lucille Jeter, en 1950, suite à son alcoolisme et sa dépression. Une enfance douloureuse pour Jimmy (surnom qui se transformera au cours de sa carrière en Jimi), battu et pauvre, il est la risée de son école, qu'il fréquente assez peu au demeurant.

Dès l'âge de huit ans, cet enfant introverti veut jouer les morceaux de jazz et de rhythm'n'blues entendu dans le poste de radio familial : il se fabrique une guitare rudimentaire et s'entraîne jusqu'à ce que son père décide de lui en offrir une vraie pour quelques dollars. Amateur de rock' n roll et de jazz, il traîne dans les clubs de sa ville et forme de petits groupes jusqu'en 1961, année ou il décide de rejoindre l'armée pour couper cours aux problèmes qu'il a avec le lycée et son père.

Embarqué dans le 101e régiment aéroporté, il découvre tour à tour le jeu sauvage des bluesmen qu'il rencontre, le parachutisme et Billy Cox avec qui il se lie d'amitié. Ce nouvel ami, bassiste et féru de jazz, forme avec Jimi Hendrix les Kinks Kasual. Ils reprennent ensemble, à l'occasion de petits concerts, des standards de blues et de rock' n roll. Il quitte l'armée en juillet 1962 suite à une blessure et pars rejoindre Billy Cox à Nashville. C'est l'année de ses premières séances en studio et de sa rencontre avec Little Richard.

Il rejoint sa formation sous le pseudonyme de Maurice James en tant que second guitariste. La légende veut que Little Richard l'écarta du groupe pour des raisons d'ego. Le charisme et les solos d'Hendrix prenant trop de place dans son show. Il décide alors de rejoindre New-York courant 1964, écumant les petits clubs et les séances de studio sous-payées. Il tourne avec des groupes de plus ou moins grande importance (Isley Brothers, Curtis Knight...), et en profite pour rencontrer quelques-unes de ses idoles du blues, en profitant pour échanger quelques techniques. Lassé d'être un simple exécutant, il monte en 1966 le Jimmy & The Blue James. Ses premières influences vont des premiers groupes garage qui expérimentent le blues sous hallucinogènes, à Bob Dylan (auquel il rendra hommage plus tard sur la version explosive de « All Along The Watchtower »), le tout distillé sur une nouvelle Fender Stratocaster équipée d'une pédale fuzz, équipement qui allait bientôt entrer dans la légende. Dès lors, il fait vite impression dans un New-York branché, vite ébahi devant son talent et la puissance de son jeu, de Keith Richard à Bob Dylan en passant par Miles Davis. Chas Chandler, bassiste des Animals, décide de le produire et l'emmène dès septembre en Angleterre.

Un groupe y est rapidement monté, un trio en l'occurrence nommé The Jimi Hendrix Experience, inspiré par Cream, comprend Noel Redding (pourtant guitariste) à la basse et John « Mitch » Mitchell à la batterie. Le jeu frénétique de Mitch allié à la fluidité de Noel pousse le groupe à rapidement enregistrer ses deux premiers 45 tours vers la fin de 1966. Ils font la première partie de nombreux artistes et commencent l'enregistrement de leur premier LP Are You Experienced ? sorti en Angleterre en mai 1967, au son novateur, gorgé de trouvailles, au blues psychédélique collant parfaitement à l'époque. Album où figurent des paroles intemporelles, entre illuminations sous acide avec « Purple Haze » ou « Love Or Confusion », d'une poésie rock digne d'un Jim Morrison (« Is that the stars in the sky, or is it, rain fallin' down / Will it burn me if I touch the sun-uh, yeah, so big, so round »), et blues d'une sexualité ravageuse : « Fire » ou « Foxy Lady ». Le public retiendra particulièrement sa reprise de « Hey Joe », pourtant loin d'être la plus belle prestation de l'album. Sa sortie aux États-Unis en juin est précédée par le premier vrai rassemblement hippie qu'est le festival de Monterey en Californie, c'est le départ d'une carrière fulgurante et extraordinaire.

Suite au succès de ses 45 tours et de l'album, l'enregistrement du second LP se profile, mais Jimi doit tout de même remplir le contrat d'un producteur véreux et opportuniste nommé Sam Chaplin (manager de Curtis Knight) à qui il cède quelques séances. Continuant leur tournée incessante, l'Experience enregistre Axis : Bold as love (sorti fin 67), toujours produit par Chas Chandler et au son dans la droite lignée du premier LP mais aux recherches sonores plus approfondies. Entre hymne à la liberté, ballades poignantes et blues psyché virtuose, l'album séduit la critique, mais ne comporte pas assez de hits. Pourtant ses talents de poètes et sa sensibilité exacerbée en font de lui plus qu'un guitariste virtuose, il devient l'emblème d'une génération en révolte, dont les paroles et la musique touchent au plus profond, comme avec « Little Wing » tout en générosité et simplicité.

Jimi, travailleur incessant, et déjà dopé, se retrouve à New-York où il enregistre intensément au Record Plant. Un nouvel album se dessine dans un esprit en fusion, les premières séances du futur double LP Electric Ladyland commencent en 1968. Il s'adjoint les talents de nombreux musiciens (le bassiste Jack Cassidy du Jefferson Airplane, l'organiste Al Kooper, le batteur Buddy Miles ou Steve Winwood) et en profite pour commencer à écarter Chas Chandler et Noel Redding. De ces jams et morceaux enfiévrés sortiront un chef d'?uvre, salué par la presse au même titre que le Forever Changes de Love ou le Sgt Peppers des Beatles. Créant des atmosphères enfumées (la version longue de « Voodoo Chile ») en des morceaux sauvages, proches de l'orgasme où explose une maîtrise inégalée de la guitare et de la wah-wah : « Voodoo Child (Slight Return) ». Entre tournée incessante et expérimentations diverses, l'année 1968 se clos à un rythme infernal.

Jimi Hendrix continue à honorer ses contrats, mais commence, à juste titre, à rechigner d'être considéré comme la bête de foire, ses gimmicks sur scène attirant plus les foules que ses compositions. L'année 1969, marquée par le haut de la vague hippie, traîne le groupe pourtant en partie dissout de concerts en concerts, Jimi s'échappe dès qu'il le peut pour développer ses idées en studio. C'est l'année de l'officialisation définitive de Billy Cox au poste de bassiste, c'est également l'année du festival de Woodstock. Sa prestation retardée n'y sera pas éblouissante, mais elle s'inscrira à jamais dans la mémoire d'une génération en plein enlisement dans la guerre du Vietnam. Fin 1969, Sam Chaplin refait parler de lui, Jimi, pour avoir la paix, lui «offre» l'enregistrement du concert au Fillmore East de New-York avec une formation éphémère : Band of Gyspys, avec Billy Cox à la basse et Buddy Miles à la batterie. Album qui sortira en mai 1970, qui fait place à un son plus chaleureux porté par la basse et à la batterie martelée. On en retiendra surtout la vibrante référence à la guerre du Vietnam sur « Machine Gun », où les musiciens cherchent à reproduire le son désespéré des combats à l'aide de leur instrument.

Hendrix commence à être surmené mais continue à enregistrer, et cette fois dans le studio qu'il s'est fait construire à New York : l'Electric Lady. Travailleur acharné aux idées bouillonnantes, il est également un grand innovateur des techniques de studio. L'Electric Lady comporte le must de la technologie de l'époque (le premier enregistreur 16 pistes et la première console 24 voies) et il n'hésite pas à expérimenter, toujours épaulé par le célèbre ingénieur du son Eddie Kramer. Il travaille sur un double LP au son plus soul, plus chaleureux et profite pleinement des capacités du studio, multipliant les overdubs et les essais, réinventant et innovant sans cesse. En parallèle, ses prestations scéniques sont de plus en plus approximatives : il rate et annule de nombreux concerts pour diverses raisons, en particulier à causes de la drogue et de l'alcool qu'il consomme en très grande quantité depuis près de quatre ans. Il retourne à Londres et suite à une soirée bien arrosée, il s'endort, gavé de somnifères. Sa compagne du moment le retrouve le lendemain matin, le 18 Septembre1970, étouffé dans son vomi et inconscient. Il décédera peu de temps après dans l'ambulance qui l'emmène vers l'hôpital. Psychologiquement en danger et victime de la surpression, Jimi Hendrix s'est éteint à l'âge de vingt-sept ans. Un mois plus tard, c'était au tour de Janis Joplin, un an plus tard celui de Jim Morrison.

Jimi Hendrix laisse derrière lui le rêve hippie effondré et l'héritage considérable de sa musique. Ses nombreuses heures passées en studio feront la joie d'éditeurs peu scrupuleux : le nombre des albums non-officiels sortis après sa mort dépassant les trois cents ! Il faudra attendre la mort en 1996 de Chas Chandler pour que son père puisse enfin retrouver les droits de son fils, il s'occupera avec Eddie Kramer des rééditions dès l'année 1997 des albums préexistants et d'albums posthumes cohérents, tel que First Rays Of The New Rising Sun, le double album qu'il avait presque achevé à l'Electric Lady.

Entre les sorties de compilations, chutes de studio, vrais-faux inédits, albums live et reconstitutions artificielles, la discographie posthume de Jimi Hendrix est un véritable puzzle géré par sa demie-soeur Janie. Ce trésor, passant des mains d'Universal à celles de Sony en 2009, s'enrichit d'une nouvelle pièce avec la parution de l'album Valleys of Neptune en mars 2010, regroupant des morceaux du printemps 1969 - entre Londres et New York - et quelques autres gemmes.

Jimi Hendrix aura vécu le blues jusqu'au bout, le transcendant de son énergie, inventant des sons inscrits définitivement dans l'histoire de la musique. Artiste complet, il révolutionna la guitare, élevant le rock vers des sommets rarement atteints. Mais pour beaucoup, Hendrix fut plus qu'un virtuose, il fut l'enfant vaudou, celui qui incante et sublime. Expression de la liberté et de la rage de vivre, ses compositions sensibles, empreintes de poésie naïve et déchirée, véhiculent une sauvagerie sans limite.

Copyright 2010 Music Story Stephen Des Aulnois