Louis Armstrong

Louis Armstrong a longtemps prétendu être né le 4 juillet 1900, soit le jour de la fête nationale américaine, la première année du XXe siècle. Des recherches sont cependant venues contredire cette légende symbolique et festive, prouvant que Louis Daniel Armstrong a vu le jour le 4 août 1901, à La Nouvelle-Orléans. Dire que la vie familiale de la futur star mondiale est peu favorisée relève l’aimable euphémisme : abandonnés par leur père, Louis Armstrong et sa sœur sont élevés durant plusieurs années par leur grand-mère, leur mère se prostituant pour vivre.

Petit-fils d’anciens esclaves, Louis (qui prononce volontiers son nom « Lewie », à la mode cajun, et tend à l’écrire « Louie ») grandit dans une ville encore fortement marquée par les divisions raciales, mais unie par l’amour du rythme et de la musique. Faisant des petits boulots pour vivre (vendeur de journaux, revendeur de restes alimentaires…) et multipliant les ennuis avec la police pour des activités à la limite de la petite délinquance, le garçon trouve le temps de traîner dans des clubs, écoutant à peu près tout, de la musique créole au Ragtime, l’ancêtre du jazz. A onze ans, il joue de la musique dans les rues avec un groupe de jeunes garçons de son âge, pour grappiller quelques pièces. A l’âge de douze ans, Louis a la brillante idée de tirer des coups de feu en l’air - avec un pistolet emprunté à son beau-père - pour fêter le réveillon 1913 : rapidement arrêté, il est envoyé dans une maison de correction réservée aux Noirs, pour y apprendre à vivre.

Louis, le Kid et le « King »

Ce qui aurait pu n’être que le début d’une longue descente aux enfers va au contraire lui apporter un coup de pouce déterminant : dans le contexte de l’éducation surveillée, le jeune Louis Armstrong rencontre le professeur de musique Peter Davis, qui décèle en lui un authentique talent musical, et lui donne des cours de chant, de percussions et de trompette. Le garçon intègre l’orchestre de son centre d’éducation, où il joue du cornet à pistons, et en devient rapidement le leader, sur l’impulsion de son professeur. Sorti du centre au bout d’un an, Louis Armstrong retrouve sa famille et son quartier crasseux, mais prend bien garde d’éviter les trop mauvaises fréquentations. Il travaille le jour comme charbonnier et, le soir, se livre à sa passion de la musique, jouant du cornet dans un club où il a été introduit par le percussionniste Black Benny, qui devient son premier mentor dans le métier. Armstrong joue dans des fanfares, des orchestres, dans des clubs, dans la rue ou sur des bateaux ; ne sachant pas encore lire les partitions, il compense fréquemment en improvisant.

Le jeune homme écoute avidement les musiciens plus expérimentés pour profiter de leur savoir, se liant notamment avec le trompettiste Joe « King » Oliver, l’un des musiciens noirs les plus en vue de La Nouvelle-Orléans, qui le prend sous son aile. Quand Oliver quitte la ville et la troupe de Kid Ory où il jouait jusque-là, il prend soin de présenter son jeune protégé au chef d’orchestre : Armstrong intègre l’orchestre de Kid Ory, comme second, puis premier, joueur de cornet. Sa formation est de plus en plus solide, et il est désormais capable de lire les partitions, multipliant les collaborations à diverses troupes. S’il ne vit pas encore totalement de sa musique, et doit toujours exercer divers métiers durant la journée, Louis Armstrong parvient à se distinguer, introduisant de nombreux solos dans ses numéros musicaux et ajoutant des parties chantées, qui contribuent à faire sa réputation. Louis Armstrong se marie par ailleurs en 1918, mais son union ne dure guère, et doit assumer l’éducation d’un fils adoptif, déficient mental suite à une blessure à la tête. En 1919, il collabore à l’orchestre de Fate Marable et joue sur de nombreux bateaux du Mississipi, développant ses capacités d’improvisation. Il gagne par ailleurs, en référence à la taille de sa bouche, son surnom de « Satchel-Mouth » (littéralement, « bouche de sacoche »).

Go North

En 1922, Joe « King » Oliver reprend contact avec son jeune protégé et l’invite à le rejoindre à Chicago, où de nombreux musiciens noirs sudistes vont se produire. Armstrong quitte à regret La Nouvelle-Orléans, mais accède dans le même temps à des conditions de vie sans aucune comparaison avec celles de la ville de Louisiane : Chicago commence à faire figure d’Eldorado pour les musiciens de ce qui s’appelle maintenant le Jazz, et Joe « King » Oliver et son orchestre sont parmi les musiciens noirs les plus en vue. Correctement payé (il est enfin musicien à temps plein), bien logé (il dispose pour la première fois de toilettes personnelles), Louis Armstrong, qui est second cornet dans la troupe d’Oliver, multiplie les rencontres et les collaborations avec d’autres musiciens (Hoagy Carmichael, Bix Beiderbecke).

Il tombe par ailleurs amoureux de Lil Harding, pianiste dans l’orchestre de King Oliver, et l’épouse. C’est justement sa seconde femme qui l’incite à faire preuve de davantage d’ambition dans sa carrière et à se détacher de l’influence d’Oliver. Suivant ses conseils, Armstrong joue de la musique dans les églises, s’habille avec élégance, et pousse l’audace jusqu’à discuter de son salaire avec King Oliver, pour réclamer une augmentation.

En 1924, Armstrong finit par se séparer à l’amiable de son mentor, et part pour New York, où il travaille dans l’orchestre de Fletcher Henderson. Armstrong s’adapte au style plus maîtrisé de sa nouvelle troupe, et abandonne le cornet à pistons pour la trompette. Il multiplie les enregistrements (travaillant avec de nombreux autres musiciens, parmi lesquels Sidney Bechet), mais sa femme demeure insatisfaite des progrès de sa carrière, et le pousse à retourner l’année suivante à Chicago, où le couple fonde son propre orchestre, le Lil Hardin Armstrong Band. Bien qu’il enregistre également sous son propre nom, Louis Armstrong est, dans les faits, subordonné à sa femme, qui est la véritable tête pensante et la manager du couple. Le foyer Armstrong connaît des tensions, et les époux finissent par se séparer à la fin des années 1920, alors que Louis Armstrong voit sa réputation grandir grâce aux enregistrements de ses différentes sessions avec des ensembles de musiciens : entre 1925 et 1928, les disques de Louis Armstrong and His Hot Five, puis Louis Armstrong and His Hot Seven, contribuent à faire connaître le talent et la capacité d’improvisation du jazzman. Les conditions d’enregistrement et d’interprétation sont encore frénétiques et parfois précaires : en conséquence, les morceaux ne sont pas tous parfaits et contiennent parfois des notes moins réussies que d’autres, ce défaut étant largement compensé par l’énergie de tous les musiciens.

Mafia swing

Collaborant avec le pianiste Earl Hines pour fonder la troupe Louis Armstrong and his Stompers, « Satchelmouth » multiplie les prestations entre Chicago et New York, jouant dans des clubs à la mode, dont beaucoup sont par ailleurs détenus par la pègre : il se produit ainsi au Sunset Café, tenu par le gang d’Al Capone et au Connie’s Inn, club du parrain Dutch Schultz. Ces fréquentations un peu louches – mais quasi obligatoires au vu du milieu social des patrons de clubs de l’époque – n’empêchent pas Louis Armstrong de développer sa carrière en enregistrant de nombreuses interprétations chantées. « Ain't Misbehavin' », interprété lors de la revue Hot Chocolate, donnée en 1929 à Broadway par la troupe de Fats Waller, est considéré comme sa première chanson vraiment populaire.

Suivent notamment « Stardust » (d’après un morceau de Hoagy Carmichael), et « Lazy River » (Sidney Arodin et Carmichael), considérés comme de véritables réinventions des morceaux originels. L’interprétation de Louis Armstrong est désormais plus calme et plus posée, se rapprochant de la perfection. Se détournant volontiers des partitions initiales, ajoutant de nombreuses parties chantées ou semi-parlées, il s’impose comme l’un des musiciens les plus innovants du Jazz et l’un des premiers véritables solistes du genre : son style chanté devient un archétype, contribuant largement au développement du Scat, et influençant de nombreux artistes de l’époque.
En 1936, la popularité de Louis Armstrong tient un rôle dans le film musical Pennies from Heaven, dont Bing Crosby tient la vedette. Mais le milieu musical, durement touché par les conséquences de la crise de 1929, connaît des tensions où le rôle de la pègre n’est pas étranger : se jugeant harcelé et racketté par la mafia, Louis Armstrong s’éloigne quelques mois des Etats-Unis, ce qui lui donne l’occasion d’une tournée européenne durant laquelle il peut jauger la popularité désormais mondiale du Jazz. En 1942, il se produit au Royaume-Uni devant le Roi George V et, oubliant l’étiquette lance au souverain, avant d’attaquer un morceau, un « This one’s for you, Rex ! » demeuré dans la légende. C’est à cette époque que son surnom de « Satchelmouth », devient « Satchmo » après avoir été déformé par un journaliste britannique. Au faîte de sa popularité, Armstrong n’est toujours pas à l’abri de la malhonnêteté humaine : revenu aux Etats-Unis, toujours par monts et par vaux, il finit par se découvrir que l’incompétence de son manager l’a mis dans une situation financière désastreuse, accumulant au passage les contrats hasardeux. Un nouvel agent le tire d’affaire, tout en négociant avec les racketteurs de la mafia.

Sa situation remise d’aplomb, Louis Armstrong s’oriente de plus en plus vers des prestations chantées, ses mains et ses lèvres ayant durement souffert de son maniement frénétique de la trompette. Il continue d’apparaît dans des films, où il se révèle un acteur comique plutôt doué. En 1937, il est le premier artiste noir à animer une émission de radio diffusée sur tout le territoire des Etats-Unis. Le Armstrong Big Band continue de tourner avec frénésie, réalisant parfois jusqu’à trois cent concerts par an, faisant de Satchmo une star absolue et incontournable du Jazz. Sa popularité transcendant les barrières raciales, il exerce une influence musicale sur des artistes blancs comme Bing Crosby, qui le reconnaissent volontiers comme un maître.

All Star Satchmo

Après 1945, le Swing commence à décliner lentement, les orchestres tendant à rétrécir : le manager de Louis Armstrong suit le mouvement en remplaçant en 1947 le Big Band par l’ensemble All Stars, dont le trompettiste-chanteur tient la vedette aux côtés de nombreux collaborateurs, comptant au fil des années des artistes comme Earl Hines (piano), Edmond Hall (clarinette) ou Marty Napoleon (piano) : le roulement des effectifs permet au groupe de se renouveler constamment, conservant sa fraîcheur tout en lançant de nouveaux talents. La notoriété de Louis Armstrong est telle qu’il figure sur la couverture de Time Magazine en 1949 : il enregistre de nombreux duos, avec des chanteurs comme Bing Crosby, Louis Jordan ou Gary Crosby, renforçant encore sa popularité par ses collaborations avec des artistes blancs. Il continue par ailleurs de faire des apparitions au cinéma, souvent dans son propre rôle : en 1950, on le voit ainsi donner la réplique à Fernandel, dans le film Je suis de la revue.

Armstrong est désormais l’un des musiciens les plus célèbres du monde, et un parrain du Jazz : en 1956 et 1957, il collabore avec Ella Fitzgerald sur trois albums mémorables de duos, dont le plus célèbre demeure Porgy and Bess, où les deux compères interprètent George Gershwin. Considéré comme un ambassadeur culturel de premier plan pour les Etats-Unis, Armstrong réalise durant la Guerre Froide en Europe, en Afrique et en Asie, de nombreuses tournées organisées en concours avec le Département d’Etat américain, gagnant au passage le sobriquet d’« Ambassador Satch ». L’âge venant, il se produit de plus en plus en tant que chanteur, enregistrant des standards de premier plan comme « Hello Dolly » (1964) ou « What a Wonderful World » (1967), sans doute son morceau le plus écouté et radiodiffusé en Europe. Avec le premier morceau, il connaît, à soixante-trois ans, la suprême satisfaction de détrôner les Beatles du sommet du Hit-parade américain.

Mais la santé de Louis Armstrong le rattrape : malade du cœur, il se produit un peu moins à partir de la seconde moitié des années 1960 –tout en restant plus actif que bien d’autres artistes- et fait de fréquents séjours à l’hôpital. Le 6 juillet 1971, il finit par s’éteindre dans son sommeil, à son domicile new-yorkais. Onze de ses chansons ont depuis été inscrites au Grammy Hall of Fame, honorant les morceaux à l’importance historique marquée : un honneur certes important, mais bien modeste au regard de la gigantesque postérité d’un titan du Jazz, qui aura réussi à devenir le visage d’un genre musical tout entier.

Copyright 2010 Music Story Nikita Malliarakis