Née Monique Serf en 1930 à Paris, Barbara provient, comme Serge Gainsbourg, Michel Polnareff et d'autres artistes de la même génération, d'une famille juive originaire d'Europe centrale par sa mère. Grandissant dans un milieu très modeste, elle devra fuir avec sa famille pendant l'occupation allemande, d'abord à Tarbes puis à St Marcellin, près de Grenoble.
Revenue à Paris à la Libération, Monique, qui veut depuis toute petite devenir «pianiste chantante», prend des cours de chant et entre à 19 ans au Conservatoire supérieur national de musique de la rue de Madrid. Elle apprend quelques airs classiques, étudie Fauré, Debussy et Shumann. Sa voix est classée mezzo soprano. Avide de chanter, séduite par la chanson populaire, celle d'Aristide Bruant, Fréhel, Harry Fragson et surtout Edith Piaf, qui devient son modèle, elle quitte vite le Conservatoire pour s'essayer aux cabarets parisiens, sans succès. Elle part alors tenter sa chance en Belgique, où elle mène pendant quatre ans une vie bohème, chantant dans des cabarets de Charleroi et Bruxelles. Elle chantera notamment au Cheval Blanc, où se produit aussi un certain Jacques Brel, mais le succès n'est pas encore au rendez-vous. Années difficiles où elle endure patiemment les sifflets d'un public étudiant qu'elle fatigue, et flirte avec la misère, envisageant même de se prostituer. C'est en Belgique qu' elle s'invente ce nom de scène qu'elle ne quittera plus, Barbara Brodi, d'après le nom d'une de ses lointaines aïeules slaves (Varavara Brodsky). À partir de 1954 cependant sa carrière commence à prendre forme. La firme Decca Belgique lui propose d'enregistrer un 75 tours et un 45 tours qui sortiront en 1955, accompagnés d'un concert de promotion à la Rotonde des Beaux Arts de Bruxelles.
De retour à Paris en 1955, renforcée par ces premiers succès et avec l'appui de ses contacts belges, Barbara finit par forcer la porte des cabarets parisiens. Elle s'installe à l'Ecluse, quai des Grands Augustins, un cabaret exigeant de la rive gauche. Durant ces années elle se mêle à une foule d'artistes en herbe parmi lesquels on retrouve notamment Georges Moustaki, Serge Gainsbourg, Serge Lama et Brigitte Fontaine. Son répertoire s'étoffe : à la chanson réaliste d'avant-guerre, elle ajoute des textes de Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré, puis teste timidement sur ce public ses premières créations, dont « Nantes » et « Chapeau Bas ». Se produisant tous les soirs vers minuit, toujours en robe noire, elle devient la «chanteuse de minuit» et commence à poser ce personnage de la «longue dame brune», mystérieuse, mélancolique, qui lui collera longtemps à la peau, et attire le public snob du Paris en ébullition intellectuelle des années 1950.
Le succès vient à partir de 1964, lorsque Barbara est repérée par Claude Dejacques, directeur artistique chez Philips, et découvreur de Claude Nougaro, Brigitte Bardot et Serge Gainsbourg, entre autres. Celui-ci prend véritablement en main la carrière de Barbara en l'encourageant à composer et chanter ses propres chansons et en l'entourant des meilleurs musiciens du moment. La chanteuse sort alors Barbara chante Barbara et enregistre une série de titres qui deviendront des classiques, notamment « Gare de Lyon », « Pierre » et surtout « Nantes », qui, par sa composition reste aujourd'hui encore un modèle de chanson, et qui la fait connaître d'un public plus large. En octobre 1964, Barbara est invitée à chanter à Bobino en première partie de Georges Brassens. Le succès est tel qu'elle en éclipse le Sétois. Dès lors, elle est lancée.
Propulsée vedette de music-hall, Barbara enregistre un 2ème album en 1965, se produit la même année de nouveau à Bobino en tête d'affiche, et découvre à 35 ans les affres de la vie de star. Elle enchaîne alors enregistrements d'albums studio et grandes tournées qui la mènent dans les plus prestigieuses salles parisiennes, en province, en Europe, en Israël, au Canada et au Japon. Barbara est plus une femme de scène que de studio. Préparant ses concerts des mois à l'avance, avec une méticulosité presque maniaque, elle en fait des moments de communion rares avec son public. La créativité maximale de Barbara s'exprime lors de ses tournées où elle est capable de composer des chansons en quelques heures, comme en 1964 quand elle écrit « Göttingen » pour son public allemand, une chanson pour la réconciliation franco-allemande. Elle met en scène sa carrière comme une série de rendez-vous d'amour avec son public, son «amant aux mille bras», pour qui elle compose « Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous ». La chanson, écrite à l'issue du concert de Bobino sera intègrée à tous ses récitals. La discographie de Barbara est en grande partie composée d’enregistrements de ses concerts.
Admirative d'un Gainsbourg capable de créer des «albums-concepts», Barbara sait qu'elle est d'une autre trempe. Elle affirme : « je n'ai pas d'imagination », et de fait pratiquement toutes ses chansons sont d'inspiration autobiographique : « Nantes » (la mort de son père), « Mon enfance » (sa jeunesse juive sous l'occupation), « Une petite cantate » (la mort de sa pianiste de l'Ecluse) ou « l'Aigle noir », qui évoque de façon symbolique l'inceste paternel dont elle a été victime. En pleine période yé-yé, jupes courtes et nattes blondes, Barbara ne cède pas à la facilité. Ses chansons forment un monologue intérieur empreint d'une poésie noire, mélancolique, mettant en scène des blessures personnelles auxquelles on peut souvent s'identifier, ou parlant d'amour dans des saynètes à consonance romantique. S'ensuit une relation avec son public qu'on a pu qualifier de psychanalytique, concerts-divan où elle se dévoile dans des moments frisant la catharsis.
Dans les années 1970, après des adieux à la scène qu'elle sera bien incapable de respecter, elle se lance dans des collaborations plus ou moins fructueuses qui la mènent au théâtre avec Madame, de Remo Forlani, où elle interprète le rôle d'une femme régnant seule sur un bordel abandonné d'Afrique, et au cinéma avec Franz, sous la direction de Jacques Brel. Ces aventures débouchent sur des fiascos critiques et financiers, mais ses fans la suivent. Elle collabore également avec des auteurs et arrangeurs de talent, notamment François Wertheimer qui lui écrit en 1973 l'album La Louve, mystérieux et poétique. Mais le succès n'a fait qu'aggraver les fragilités de cette personnalité complexe. Effrayée par l'adoration oppressante de ses fans, tourmentée par les blessures de son enfance, sujette aux insomnies, Barbara tente de se suicider en 1974 en avalant sept tubes de barbituriques. Elle fera de cette mésaventure une chanson, « Mes insomnies ». Sentimentalement, Barbara multiplie les histoires d'amour passionnelles et violentes, avec des hommes de tous âges, ce qu'on retrouve dans une chanson comme « Les amours incestueuses ». Jamais mariée, elle n'aura pas d'enfant.
En 1981, Barbara, qui a chanté dans toutes les grandes salles parisiennes, cherche un endroit original pour son retour sur scène. Ce sera à Pantin, sous un chapiteau qu'elle fait aménager à grands frais spécialement pour l'occasion. Au sommet de sa carrière, elle chante l'automne de cette année pour un public immense, rajeuni, et devant le gratin de la politique et du show-business. Elle interprète « Regarde » une chanson écrite pour François Mitterrand, fraîchement élu président. Le concert de Pantin marque un tournant dans sa carrière : conçu comme un grand show à l'américaine, avec une débauche de moyens techniques, il marque aussi l'orientation vers des arrangements de plus en plus sophistiqués, faisant appel au synthétiseurs. La diva y pousse son perfectionnisme à l'extrême. Les compagnons de la première période regrettent ce qu'ils considèrent comme une caricature de Barbara, mais le public, renouvelé, la suit. Le concert est un triomphe. Un soir, l'artiste étant complètement aphone, c'est le public qui entonne les chansons, accompagné par les musiciens et la chanteuse au piano. À partir de Pantin, la voix de Barbara se fragilise, dérapant dans les aigus, moins assurée, mais donne à ses chansons une émotion encore plus grande qui galvanise son public.
C'est à Pantin que Barbara rencontre Gérard Depardieu, avec qui elle vit peut-être sa principale histoire d'amour. Dans les années 1980, elle s'absorbe longuement avec lui dans la création d'un spectacle, collaborant avec William Sheller et Roland Romanelli. L'œuvre, remaniée un grand nombre de fois, est à l'origine de la rupture avec nombre de vieux compagnons. La première de Lily Passion a finalement lieu au Zénith de Paris le 21 janvier 1986. Le spectacle musical met en scène Barbara quasiment dans son propre rôle et Depardieu dans celui d'un criminel. C'est un succès, qui se poursuit par une tournée internationale qui mène les amoureux jusqu' à New-York. Arrivée à l'âge mûr, Barbara affirme de plus en plus son personnage de diva sophistiquée toute en strass (« ma conception du spectacle, c'est la paillette », déclare-t-elle à Télérama), poussant son maniérisme et sa théâtralité encore plus loin et multipliant les frasques. Mais elle met aussi sa célébrité au service de causes qui lui tiennent à cœur, en particulier la lutte contre le sida dont elle fait un combat personnel. La diva va chanter dans les prisons, distribue des préservatifs lors de ces concerts, travaille avec les associations, notamment Act Up et Sol en Si. Elle qui n'a jamais écrit que sur l'amour et sa propre vie commence à évoquer l'actualité dans des textes engagés, notamment « Sid'amour à mort », « Le soleil noir », « Les enfants de novembre » (sur les manifestations étudiantes de la fin des années 1980).
Autour de la soixantaine, Barbara est toujours animée du désir de chanter. Elle se produit encore au Théâtre du Chatelêt en 1987, et à Mogador en 1990, chantant parfois dans un rocking-chair. En 1996, elle sort son dernier album, où, la voix plus cassée que jamais, elle évoque notamment un épisode tragique de son enfance lors de l'occupation nazie. De plus en plus souvent malade, elle finit par succomber à une pneumonie le 24 novembre 1997.
Copyright 2010 Music Story Martin Salery
- 1992