Charles Aznavour



Pour toi Arménie

Charles Aznavour naît le 22 mai 1924 à Paris. Ses parents, d’origine arménienne sont déjà artistes. Mais l’Histoire les anéantit en 1917 lorsque la plupart de leurs proches sont victimes du génocide arménien. Le couple fuit alors la Turquie et s’installe en France. La bohème que décrit si bien l’artiste, la famille Aznavourian la connaît. Les parents d’Aznavour étant toujours actifs dans un théâtre amateur, le petit Charles entre dans la lumière à l’âge de trois ans. La scène, il ne l’a jamais quittée jusqu’à ses concerts au Palais des Congrès pour son 80ème anniversaire.

1933 : Charles Aznavour, toujours précoce prend l’initiative d’écrire au directeur du théâtre du Petit Monde où il se fait engager. Il intègre également une école du spectacle, une initiation artistique qui lui permet d’enchaîner à l’adolescence des rôles au théâtre (Studio des Champs Elysées, Madeleine), rémunérés trois francs, six sous. L’illustration flagrante de l’incroyable ténacité dont Aznavour a fait preuve tout au long de sa carrière.



Je leur montrerai que j'ai du talent


A dix-huit ans, Charles Aznavour n’a toujours pas conquis Paris. Il court le cachet et fait du porte à porte. Sa rencontre avec le pianiste Pierre Roche marque un tournant essentiel dans sa carrière. Le duo naît un soir de 1941, à la suite d’une erreur d’annonce. Il aligne alors les contrats, de boîtes de nuits en cabarets. Lorsqu’Aznavour s’essaye à écrire leur propre répertoire, il découvre qu’il possède le talent de la rime. Il restera de cette époque une chanson particulièrement swing, le fameux « Feutre taupé » qu’Aznavour continue d’interpréter de nos jours.

La collaboration Aznavour-Roche fait ses armes, leur chanson « J'ai bu » dont s’empare Georges Ulmer séduit le public. Néanmoins, le tandem reste peu connu des vedettes de l’époque. Edith Piaf va alors aider Charles Aznavour à se faire une place dans le music-hall. Subjuguée par l’arménien, elle l’emmène en 1946 lui et son compère lors d’une tournée avec les Compagnons de la Chanson. La môme leur fait également découvrir l’Amérique et le Canada où le duo s’impose sur scène durant quelques années lors d’une épopée rocambolesque.

A la fin des années 40, Aznavour, quelque peu influencé par Piaf se sépare de Roche. Il rentre en France où il va essayer de sortir de l’ombre…De retour à Paris, Charles Aznavour vend régulièrement ses chansons à un éditeur Raoul Breton qui croit fortement en son talent. De ce fait, Patachou reprend à son compte « Parce que » et engage Charles Aznavour dans sa boîte de nuit. Juliette Gréco interprète, elle, « Je hais les dimanches » qui obtient le prix de la Sacem en 1952. Et Aznavour lui-même change de route en quittant le domicile de Piaf où il vit à ses frais.

S’émanciper de la clique de Piaf ramène Aznavour à la galère. Néanmoins, Raoul Breton l’aide à enregistrer un 78 tours qui contient le fameux « Jezebel ». Les directeurs de théâtre ne l’abandonnent pas, Jean Bauchet, le patron du Moulin-Rouge, conscient du talent d’Aznavour l’embauche en vedette dans son cabaret. Et l’Olympia l’accueille en première partie de Sydney Bechet.

Pourtant, son parcours n’a toujours pas la fulgurance d’une Star Academy. Aznavour vend des disques, passe à la radio, possède un don d’auteur-compositeur, mais la critique l’égratigne à chacune de ses prestations scéniques. Il faudra attendre un concert à l’Alhambra pour qu’il obtienne enfin la reconnaissance du « Tout-Paris ». A cette première de 1957, le public se montre particulièrement glacial. Aznavour abat sa dernière carte, la chanson « J’me voyais déjà » qu’Yves Montand avait refusée. Seul en scène, Aznavour pense encore vivre ses derniers instants de chanteur. Puis, une standing ovation unanime l’acclame. La fin d’une lutte âpre.



Emmenez-moi


Tournées, spectacles, disques d’or. Au lendemain de ce concert à l’Alhambra, la carrière de Charles Aznavour prend son envol. Son immense répertoire aligne les chef-d’œuvres comme des perles, « Sur ma vie », « Il faut savoir », « La Mamma »... Il y a toujours une chanson à se remémorer, si légère qui pourtant vous étreint le cœur. Le public embrasse désormais la poésie d’Aznavour, novatrice par sa musicalité et la fluidité de ses mélodies. Aznavour conjugue l’amour à l’impossible, au temps qui passe et à la rupture. Si son champ sémantique déborde de mots doux, il n’est pas un chanteur romantique. Il sait aussi faire preuve d’une cruelle ironie dans «Tu t’laisses aller » ou «Bon anniversaire», récit d’un anniversaire de mariage raté. Aznavour a le mot juste qu’il chante «Sa jeunesse » ou « Les Plaisirs démodés ».

Charles Aznavour est désormais une vedette en Europe mais il garde le souhait de reconquérir les Etats-Unis. En 1963, il autofinance son tour de chant et loue le Carnegie Hall. Un pari fou ? La critique américaine est dithyrambique, elle reconnaît le show-man qui transforme ses spectacles en une scène cinématographique, apportant une émotion si particulière lorsqu’il interprète ses textes. D’ailleurs, à cette époque, il tourne plusieurs films dont l’inoubliable «Tirez sur le pianiste» de François Truffaut qui lui confère une aura supplémentaire.

En 1965, Aznavour, âgé de quarante et un ans, a déjà écrit la plupart des classiques de son répertoire. Il a publié une dizaine d’albums dont C’est ça, Je m’voyais déjà, Qui ? Il présente alors son « one man-show », un spectacle de trente chansons qu’il chante à l’Olympia durant douze semaines. Il écrit également l’opérette « Monsieur Carnaval » dont le titre phare « La bohème » est d’abord enregistré par George Guétary. Charles Aznavour va créer quelques années plus tard un autre spectacle musical, « Douchka ».



Mourir d’aimer


A l’aube des années 70, Aznavour part s’installer aux Etats-Unis tout en menant de front sa carrière en France. En 1971, il écrit une de ses plus belles chansons, « Mourir d’aimer », extraite du film d’André Cayatte. Elle retrace l’histoire d’amour dramatique entre une enseignante et un de ses élèves, âgé de dix-sept ans. Cette période marque un changement de ton. Aznavour s’intéresse à l’évolution de la société, il écrit en 1973 l’inoxydable « Comme ils disent », chanson pleine de sensibilité sur l’homosexualité. D’ailleurs, Aznavour a souvent défrayé la chronique avec des chansons d’avant-garde comme ce fut le cas en 1965 dans « Après l’amour », considéré comme une atteinte aux bonnes mœurs et censuré à la radio.

Ces années-là, Charles Aznavour, pensionnaire de l’Olympia, invente un système de récital, il interprète ses nouvelles chansons à 18H00 et les anciennes à 21h00. Il sait déjà que le public attend avec ferveur les premières ritournelles comme c’est encore le cas lors des concerts actuels. En 1975, Charles Aznavour écrit avec son beau-frère et fidèle complice le compositeur George Garvarentz une chanson en souvenir du génocide arménien « Ils sont tombés ». Lors du terrible tremblement de terre de 1988, il se mobilisera à nouveau en réunissant tout le gratin de la chanson française dans « Pour toi Arménie » qui entre directement n°1 des ventes, et permet d’apporter des fonds à la reconstruction du pays.

En 1978, il inaugure sa rentrée à l’Olympia avec l’inoubliable « Mes emmerdes » issue de l’album Voilà que tu reviens. Les grandes stars américaines reprennent ses chansons, Ray Charles chante « La Mamma » et Fred Astaire « Les plaisirs démodés ». Aznavour est au summum de sa gloire, un album reflète bien sa carrière : Je n’ai pas vu le temps passer.Si les années 1980 enterrent beaucoup d’artistes, il n’en est rien pour Charles Aznavour qui n’a plus rien à prouver. Certes, il enregistre des albums moins marquants (Toi et moi), mais il n’en reste pas moins un des chanteurs les plus plébiscités par un public international. De ce fait, Trema prévoit la réédition de 358 chansons. Après sept ans d’absence, il remonte également sur scène en 1987 au Palais des Congrès, une salle qu’il a fait sienne.



Il faut savoir


Il a beau avoir chanté : « Il faut savoir cacher sa peine / Sous le masque de tous les jours », lorsqu’il s’agit de l’Arménie, l’artiste ne peut cacher son émotion pour le pays de ses aïeuls. Après « Pour toi Arménie », il part en 1989 sur les traces du tremblement de terre. Il y retournera en 1996 pour donner un concert à l’Opéra d’Everan. Dans les années 1990, Aznavour poursuit sa carrière de chanteur et d’acteur. Il renoue dans l’album Aznavour 92, avec la chanson « engagée », évoquant le viol dans « La marguerite », magnifique titre qu’il interprète sur scène avec Liza Minnelli. En effet, il entame avec son amie de toujours rencontrée lors de son premier voyage à New York, une série de concerts au Palais des Congrès et aux Etats-Unis. Il retrouve ainsi l’esprit cabaret de ses débuts. Aznavour change à nouveau de maison de disques, il entre chez EMI. Une intégrale de 30 CD sort en 1996.

Le Palais des Congrès, Charles Aznavour s’y produit à trois reprises entre 1994 et 2000. Ce rendez-vous récurrent constitue un lien privilégié avec son public. Si Aznavour reste à l’affût de nouvelles chansons, il ne se passe d’ailleurs pas un jour sans qu’il écrive, il accepte en 1998 que l’on revisite ses standards dans Jazznavour, variations jazz, accompagné entre autres de Michel Petruccianni. Aznavour a également l’audace d’enregistrer un duo virtuel avec celle qui fut son mentor, Edith Piaf dans la chanson « Plus bleu ». Un essai étonnant.Les années 2000…

Aznavour a toujours une insatiable soif de son métier comme si l’époque de Roche n’était pas si lointaine. Son album Je Voyage, sorti en 2002 témoigne de ce transport permanent, qu’il soit géographique ou intérieur. Happy Birthday Mister Aznavour ? En 2004, il fête ses 80 ans au Palais des Congrès, quelques mois après avoir publié ses mémoires, « Le Temps des avants », un émouvant best-seller. Une Intégrale de 44 CD est publiée par EMI, sous la forme d'un somptueux Arc de Triomphe.

Quatre-vingts ans et Charles Aznavour s’arrêterait là ? Il revient avec Insolitement Vôtre (2005), un album-concept autour de la vie de Toulouse-Lautrec, une comédie musicale avait déjà été jouée en 2000 au Shaftesbury Theater de Londres. Cette fois-ci, Aznavour a convié plusieurs artistes dont Serge Lama et Isabelle Boulay à parcourir le Montmartre de la fin du XIXème siècle entre art et boisson. Un décor qu’Aznavour a connu à ses débuts, menant une vie légère de saltimbanque en compagnie de Roche.

En 2007 sort Colore Ma Vie et en 2008 se succèdent deux rétrospectives collectives de son répertoire : Charles Aznavour et ses Amis à l'Opéra Garnier et le double album de Duos. Ses derniers albums montrent qu’Aznavour n’a pas dit sa dernière rime.



Et pourtant


Les honneurs, les récompenses, les disques d’or. Charles Aznavour a tout connu. A ses débuts, la critique n’a pourtant pas su reconnaître l’originalité de l’artiste. Elle n’a vu que le fils d’immigrés, de petite taille, à la voix éraillée. A l’heure où la vague yé-yé braillait son amour du rock’n’roll et des bagnoles, Aznavour chantait déjà le temps qui passe. Il n’avait alors que dix-huit ans. Et peut-être déjà plusieurs vies.

Jazz, rock, chanson, fado…Charles Aznavour a flirté avec tous les styles musicaux. Même avec le hip-hop et le r&b, que ce soit sous forme de sample ou d’hommage sur l’album Hip-Hopée où des rappeurs reprenaient à leur manière « Emmenez-moi » et « Je m’voyais déjà ».Quarante-quatre albums, 786 chansons, 70 ans de carrière. Charles Aznavour continue de servir la chanson française dans un langage subtil et intemporel.

Copyright 2010 Music Story Paula Haddad