Michel Berger



Chez les yéyés

« Mon fils rira du rock’n roll » chantait Michel Berger. Le 28 novembre 1947, Michel Berger, fils de Jean Hamburger, chirurgien réputé et d’Annette Haas, pianiste concertiste esquisse un premier sourire… Le rock’n roll, on y pensera plus tard. Michel Berger est élevé dans un milieu aisé et musical. Mozart, Ray Charles, Gershin. Michel Berger tente ses premiers accords. Sa mère musicienne s’impose comme le pilier de sa vie. Car désormais, il vit seul avec elle et ses frères et sœurs. Son père, personnage énigmatique, victime d’une infection pulmonaire quitte brusquement le domicile familial. Premier abandon…

1963 : La maison de disques Pathé Marconi auditionne de jeunes talents voués à devenir des stars du yéyé. Michel Berger s’y rend avec deux camarades de classe. Il n’a pas particulièrement le profil adéquat mais il est sélectionné. De 1963 à 1966, il sort sept 45 Tours dont le succès « L’amour, tu n’y crois pas ». Il figure également sur la photo mythique de Jean-Marie Périer pour Salut Les copains. Après le bac, Michel Berger s’inscrit à la faculté, rayon philosophie où il soutient un mémoire de maîtrise sur l’esthétique de la musique pop. Curieuse vie. En parallèle, Jacques Sclingand de Pathé l’a engagé comme directeur artistique en compagnie de Claude Michel Schönberg. Là-bas, il entame une carrière d’auteur-compositeur-producteur. Il s’occupe de divers artistes : Bourvil, Jean-François Michaël ou d’une dénommée Patricia qui obtient un certain succès avec le titre « Quand on est malheureux ». Il joue le rôle du chef d’orchestre mais reste dans l’ombre.

Pour me comprendre

En 1967, Michel Berger fait passer une audition au trio Les Roche-Martin composé de François Bernheim, Violaine Sanson et Véronique Sanson ! L’amorce d’une nouvelle ère. Michel Berger vit pour la musique. Véronique Sanson aussi. Le pygmalion produit alors le premier 45-tours de la chanteuse « Le printemps est là ». Il quitte également Pathé-Marconi pour WEA en emmenant avec lui son diamant brut… Michel Berger réalise alors les deux premiers albums de Véronique Sanson : Amoureuse et De l’autre côté de mon rêve. Le témoignage musical d’une fusion artistique et amoureuse rare. Pourtant, sans crier gare, Véronique Sanson quitte Michel Berger dès sa rencontre avec Stephen Stills (Crosby, Stills and Nash). Les jeunes mariés partent vivre dans le Colorado. Cette blessure, Michel Berger la trimballera longtemps. Du moins en chansons.

Cette collaboration avec Véronique Sanson lui confère une certaine aura auprès d’autres artistes. Car en ce milieu d’années 70, Michel Berger apporte un nouveau style à la chanson française. Ses mots sont justes et forts, ses rythmiques syncopés reconnaissables et ses mélodies accrocheuses. Il incarne une variété de qualité. Ni guimauve, ni tourné vers le passé. Sa sensibilité féminine touche d’abord François Hardy, en panne de bonnes chansons. Il lui adresse donc un magnifique « Message personnel ». Il s’investit également dans la réalisation de son véritable premier album. Il avait en effet déjà tenté l’expérience lors de Puzzle, un album instrumental. Cette fois, Michel Berger sait qu’il a aussi le sens des mots. De cet album à la pochette qui représente un cœur brisé, il reste la chanson « Pour me comprendre » que Véronique Sanson reprendra dans les années 90…

Que l’amour est bizarre

1974 : Michel Berger fait la deuxième rencontre déterminante de sa vie. France Gall, ex-égérie yéyé connaît ce qu’on appelle le creux de la vague. Voir le creux tout court. A part dans les chansons de Serge Gainsbourg, son talent est pour le moins sous-exploité. Michel Berger accepte d’abord de lui donner des conseils. Un jour, il lui amène la chanson tant attendue : « La Déclaration ». France Gall devient une artiste. Et Michel Berger trouve en son succès toute la reconnaissance populaire qu’il n’a pas encore avec ses propres albums. Néanmoins, il continue à faire des disques, tels que Chanson pour une fan et Que l’amour est bizarre. Oui, l’amour est vraiment bizarre ! Michel Berger a retrouvé une forme de sérénité auprès de France Gall mais son ex-muse, Véronique Sanson rôde toujours. Il entretient une sorte de correspondance musicale, notamment avec la chanson « Seras-tu là ? ». La chanteuse lui réponds en 1976 sur scène à l’Olympia : « Je serais là »… En 1975, France Gall sort un premier album produit par son pygmalion. C’est le début de l’alternance. Un album pour lui, un album pour elle. Michel Berger sort donc dans la foulée un disque un peu passé inaperçu : Mon piano danse. Le piano, la musique. Des termes si présents dans le répertoire Berger-Gall. Et l’amour aussi. Le 22 juin 1976, Michel Berger et France Gall se marient.

Starmania

Michel Berger a un immense talent de mélodiste. Mais il n’a pas encore eu vraiment l’occasion de le démontrer. Sa rencontre avec l’auteur Luc Plamondon lui sert d’écrin. Si Michel Berger poursuit la production d’albums (Dancing Disco, pour France Gall), il a une ambition plus grande : la comédie musicale. Il a déjà tenté l’aventure avec une mini-fiction musicale produite par les Carpentier : Emilie ou la petite sirène 76. Il a également écrit l’amorce d’une histoire, Angelina Dumas, inspirée par l’affaire d’une riche héritière enlevée par une bande de terroristes. Starmania est d’une autre ampleur. Le tandem Berger-Plamondon s’enferme deux mois dans une villa. A la sortie : un opéra-rock ! A l’époque, le mot a tout d’un néologisme. Starmania ou l’histoire du monde de demain. En cette fin d’années 70, l’histoire de Johnny Rockfort et de sa bande de zonards est résolument moderne. Presque visionnaire. Il en reste plusieurs chansons cultes : « La chanson de Ziggy », « Le blues du businessman », « Le monde est stone » etc Et d’autres chansons moins galvaudées : « La complainte de la serveuse automate » ou l’incroyable « Adieux d’un sex-symbol ».

L’album permet également de révéler un casting franco-québecois : Fabienne Thibault, Daniel Balavoine, Diane Dufresne et France Gall. L’album sort le 16 octobre 1978. Enorme succès. L’année suivante, il se joue en live à guichets fermés au Palais des Congrès. Enfin, il est porté en triomphe au Québec lors d’une représentation devant 80 000 personnes. Dans les années 90, le spectacle est repris et joué, d’abord du vivant de Michel Berger, puis par d’autres compagnies. Michel Berger participe même à l’adaptation anglaise de Starmania devenu Tycoon. Starmania reste unique dans l’histoire de la chanson française.

Celui qui chante…

Le phénomène Starmania n’interrompt pas la carrière personnelle de Michel Berger. Il chante toujours comme le rappelle un des titres de son nouvel album en 1980 : Beauséjour. Celui-ci contient deux jolis succès : « La groupie du pianiste » et « Quelques mots d’amour». Tout réussit à Michel Berger : Starmania, la carrière de France Gall, sa vie privée. Il lui manque un défi certain : faire de la scène. Il annonce une série de concerts au Théâtre des Champs-Elysées. Son public l’a attendu longtemps. Il y découvre le bonheur physique de la scène. Acharné de travail, Michel Berger ne cesse d’écrire et de composer. Nouvel album : Beaurivage. L’album n’est pas truffé de hits, à part « Mademoiselle Chang » ou l’histoire d’une boat-people réfugiée. Michel Berger l’aide même dans ses démarches sur le sol français. Il a été généreux avec les autres. Pourtant, la vie ne l’épargne pas. En 1982, son grand frère, malade, décède. Et il apprend que sa fille Pauline est atteinte d’une maladie incurable. Sa carrière au summum, sa vie familiale prend une tournure dramatique.

Michel Berger se lance alors dans un nouveau projet : Le rêve américain. Il part aux Etats-Unis enregistrer un album instrumental Dreams in stone avec des vedettes US (Bill Withers, David Palmer). Sans grand retentissement outre-Manche. De retour en France, il sort son septième album studio : Voyou. Désormais, il ne quitte plus la scène. Il fait le Palais des Sports. Il se fait alors fabriquer un instrument hybride, une guitare-clavier qu’il arbore lors de ses concerts. Ces années-là, Michel Berger a également toute la considération de ses pairs. Il offre à Johnny Hallyday une cure de jouvence sans collagène. L’album Rock’n Roll attitude reste à part dans la carrière du rocker.

Rien qu’une chanson pour eux…

Michel Berger a été ce qu’on appelle un chanteur humaniste. Sensible aux grandes causes. «Mademoiselle Chang», «Diego libre dans sa tête»… Autant de chansons lourdes de sens. L’album Différences sorti en 1985 s’inscrit dans cette veine-là. Sa pochette, aujourd’hui très marquée années 80 ressemble à une publicité de Benetton ! Mais Michel Berger ne se contente pas d’écrire des chansons dans son salon. Celui qui dit « chanter pour ceux qui sont loin de chez eux », ceux-là, il part à leur rencontre. En 1986, il s’envole alors pour l’Ethiopie dans le cadre du lancement d’Action-Ecole avec Daniel Balavoine. L’objectif est de venir en aide aux populations meurtries par la famine en Afrique en récoltant des produits de base (riz, farine, sucre). Michel Berger restera fidèle à l’Afrique lorsqu’il ramènera avec France Gall un bébé dénommé Babacar qui devient également un succès ! En 1986, rien ne sera plus comme avant. Daniel Balavoine, le Johnny Rockfort de Starmania, l’ami du couple Berger-Gall meurt dans un accident d’hélicoptère en Afrique. Michel Berger écrit alors la chanson « Evidemment ». Lors de ses concerts au Zénith, il dédie à Daniel Balavoine une chanson qu’ils chantaient en duo, la sublime « Minute de silence ».

Double Jeu

Après Starmania, Michel Berger et Luc Plamondon co-écrivent un nouveau spectacle musical : La légende de Jimmy. Hymne à James Dean, star fauchée en pleine gloire. Un augure bizarre ? En tout cas, le succès est relatif même si Berger considère que c’est son œuvre la plus aboutie. En parallèle, Michel Berger publie son dernier album solo : Ca ne tient pas debout. Il y chante le fameux «Paradis blanc» où l’on se plonge dedans… Y’a-t-il des chansons prémonitoires ? Michel Berger enregistre un an avant sa mort l’album tant attendu par ses fans : en duo avec sa femme France Gall. Le duo avait déjà tenté l’expérience sous forme de single : « Ca balance pas mal à Paris ». Cette fois, il y a symbiose absolue. Double Jeu aligne les titres parfaits : « Laissez-passer les rêves », «Superficiel et léger», «Les élans du cœur». Et ce titre, tout en bas de la play-list, si évocateur : « Jamais partir ». Pourtant, le 3 août 1992, Michel Berger décède brusquement d’une crise cardiaque. Il laisse son public dans une profonde détresse. Un an après, France Gall décide de faire ce qui était prévu : monter sur scène pour chanter les chansons de Double Jeu. Elle envahit Bercy d’une émotion impalpable. Mais cette fois, la «Minute de silence» n’est plus seulement chantée en hommage à Daniel Balavoine.

Jamais Partir

Michel Berger est parti. Son immense œuvre continue d’exister. Il y a eu les compilations, le succès éternel de Starmania, l’album hommage de Véronique Sanson. Il y a eu la reprise de Laam « Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux », et même les remix de France Gall dans « Les princes des villes ». Mais il faut encore écouter Michel Berger. Sa contribution à la chanson française ne s’est pas cantonnée à un genre musical. Michel Berger a touché de ses doigts d’or à de nombreux tempos. Certes, il a fait ce qu’on appelle communément de la variété française. Mais il a su lui amener ce « je ne sais quoi » que d’autres n’ont pas.

Copyright 2010 Music Story Paula Haddad