Jean Sablon

C’est à Nogent-sur-Marne que Jean Sablon voit le jour, le 25 mars 1906.

Tel un boulanger attrapant en famille le virus du pain, c’est dans une famille de musiciens (père compositeur et chef d’orchestre, frères musiciens) qu’il grandit. Désirant poursuivre lui aussi une carrière musicale, il tente l’entrée au Conservatoire de Paris mais rate le jour des inscriptions : il opte alors pour une formation sur le tas et débute à l’âge de dix-sept ans dans une opérette d’Yves Mirande et Lucien Boyer, La Dame en décolleté, où il partage la scène avec un autre jeune artiste, nommé Jean Gabin.

Un p'tit oiseau qui chante au loin

Lancé comme jeune espoir de la scène, Jean Sablon entame une carrière de chanteur de charme, aidé par son air de bon garçon sympathique et sa voix posée. On le voit dans des opérettes aux côtés de vedettes comme Dranem ou Damia. Partant en tournée dès la fin des années 1920, il se produit jusqu’au Brésil. En 1931, il est à la scène le partenaire de Mistinguett. La même année, Sablon est mis en contact avec Jean Nohain et Mireille, qui composent « Un mois de vacances », disque qui serait aujourd’hui considéré comme un « album-concept » : cette suite de morceaux frais et détendus, influencés par l’élégance des rythmes américains, annonce à sa manière de renouveau de la chanson française, grâce aux talents d’interprètes de Sablon, Mireille, et du duo Pills et Tabet.

Jean Sablon trouve en la personne de Mireille, pianiste et compositrice, une accompagnatrice idéale : en 1932, le duo remporte un grand succès avec la chanson « Couchés dans le foin », hymne à l’amour bucolique écrit par Jean Nohain. Avec Mireille, ainsi qu’avec Pills et Tabet, Jean Sablon enregistre de nombreuses chansons et opérettes qui contribuent à faire de lui l’un des chanteurs vedettes des années 1920-30, grâce à des morceaux comme « C’est un jardinier » ou « Ce Petit chemin » (qui sent la noisette...).

Loin des brumes de la chanson réaliste ou engagée, Jean Sablon promeut une musique française guillerette et printanière, charmeuse et insouciante, incarnant à sa manière une certaine douceur de vivre française. En 1930, il apparaît dans le film Chacun sa chance, où apparaît également Jean Gabin : peu convaincu par sa prestation, il décide de renoncer à toute ambition d’acteur, même dans des comédies musicales, et se consacre uniquement à la chanson.

Couché dans le foin mais porté par les ondes

En 1933, en vacances aux Etats-Unis, Jean Sablon découvre avec intérêt les progrès de la technique en matière de diffusion du son. Désireux de tester de nouveaux styles de chant, il importe en France la modernité d’outre-Atlantique en étant l’un des premiers chanteurs français à employer un micro sur scène, ce qui lui permet de se faire entendre des salles sans forcer sa voix, et de créer aisément une sensation d’intimité avec le public. Tout le monde, dans les milieux artistiques, n’apprécie pas forcément, et les traditionalistes ne se privent pas de dire que si Jean Sablon utilise un micro, c’est d’abord parce qu’il n’a pas de voix : c’est à ce moment que naît la légende du « chanteur à filet de voix », qui fournit matière à rigolade à un certain nombre d’humoristes de l’époque.

Cela n’entame en rien la popularité de Jean Sablon, qui se produit dans de très nombreux cabarets, et s’appuie sur son style personnel pour apporter de nouveaux rythmes à la chanson française : son succès étant moins basé sur la puissance de sa voix que sur l’élégance de son chant, Jean Sablon introduit un style swing qui convient à merveille à sa distinction tranquille. Dès le début des années 1930, « Mister Swing », comme le surnomme déjà la presse, collabore avec des musiciens de jazz, comme Gaston Lapeyronie et son Jazz Orchestra, avec qui il enregistre plusieurs titres comme « Un cocktail » ou « J’aime les fleurs ».

Ce n’est pas une passade pour Jean Sablon, qui se fait régulièrement accompagner par des jazzmen comme Django Reinhardt – avec qui il est le premier chanteur à avoir enregistré des titres – ou Stéphane Grappelli. Conquis par le talent de Reinhardt, Sablon lui donne de sérieux coups de pouce, et lui assure ses engagements dans plusieurs cabarets. Jean Sablon, qui ne cache pas sa dette envers ses confrères américains, rompt avec la tradition des fantaisistes et chanteurs populaires français ; il est considéré comme le premier crooner de l’histoire de la chanson française. En 1937, il remporte le Grand Prix du Disque avec la chanson « Vous qui passez sans me voir », écrite par Charles Trenet et Johnny Hess.

International French lover

Le succès de Jean Sablon lui permet de s’exporter outre-Atlantique : si sa carrière américaine n’atteint pas les mêmes sommets que celle de Maurice Chevalier, le public américain fait très bon accueil au « French Troubadour », dont la voix suave de séducteur hexagonal envahit les ondes radiophoniques. Séjournant à Hollywood, Sablon y côtoie les plus grandes vedettes. L’Amérique du Sud aussi ouvre ses bras au chanteur français, qui se trouve en tournée au Brésil quand la France est envahie par l’Allemagne nazie. Il se met en cheville avec Ray Ventura et sa troupe, continuant ses tournées sur le continent américain, qu’il parcourt du nord au sud. Son succès américain ne se dément pas, le New York Times n’hésitant pas la comparer à la gloire nationale Frank Sinatra. Toujours attentif aux évolutions de la technique, il participe à New York aux premiers essais de télévision.

Retrouvant la France après la guerre, Jean Sablon s’y relance avec le titre « Clopin-clopant », qui devient également un tube aux Etats-Unis, sous le titre de « Comme-ci comme-ça ». Le charmeur à la fine moustache, toujours séduisant, continue sa carrière de vedette internationale, faisant figure d’ambassadeur de la chanson française à travers le monde : s’il continue de bouder le cinéma, à l’exception de rares apparitions, comme dans Paris chante toujours (il refuse ainsi, malgré l’insistance de Gene Kelly, le rôle de la vedette française dans Un Américain à Paris, finalement tenu par Georges Guétary), Jean Sablon continue de brûler les planches en France et dans le monde entier, multipliant les récitals avec une élégance sympathique, modeste et décontractée.

En 1964, il se paie le luxe d’un nouveau succès au hit-parade, avec la chanson « Syracuse », conçue par Henri Salvador et Bernard Dimey. Mais la gloire de Jean Sablon est désormais davantage internationale que française : c’est à New York, au Lincoln Center, qu’il fête ses 75 ans en 1981, et à Rio de Janeiro qu’il fait ses adieux à la scène deux ans plus tard. Désormais retiré des feux de la rampe, le crooner retraité s’installe dans le sud de la France, à Antibes. Il meurt le 24 février 1994. Si Jean Sablon incarne un type d’élégance française pouvant paraître aujourd’hui un peu suranné, son apport à la chanson française mérite bien mieux que l’oubli relatif dans lequel il est aujourd’hui tenu, tant l’homme comme l’artiste surent apporter au patrimoine musical de leur pays un surcroît de classe et d’élégance.

Copyright 2010 Music Story Nikita Malliarakis