John Winston Lennon voit le jour le 9 octobre 1940 à Liverpool au cours d’un violent bombardement allemand qui marque le début d’une existence qui ne manquera pas d’agitation. Il est encore très jeune lorsque ses parents se séparent. Alfred Lennon quitte le domicile conjugal et laisse Julia assumer seule l’éducation de leur fils, mais, vite dépassée, elle le confie à sa sœur. Auprès de tante Mimi et oncle George, John trouve enfin un foyer stable. C’est un enfant curieux, vif d’esprit et qui passe le plus clair de son temps à lire ou encore à dessiner. A l’adolescence, il intègre la Quarry Bank High School et bien qu’il ne soit pas bon élève, il développe rapidement une âme de leader. Ne reste plus qu’à trouver sa voie… Au milieu des années 50, l’Angleterre succombe au rythme du skiffle, un courant musical directement inspiré du folk américain, et John décide de suivre le mouvement. Entouré de quelques camarades, il forme les Quarry Men Skiffle Group. La suite appartient désormais à l’Histoire…
Le 6 juillet 1957, c’est à l’occasion de la kermesse annuelle de Woolton que John fait probablement l’une des rencontres les plus décisives de son existence. Dans le public se trouvent une Mimi médusée de voir son neveu sur une scène ainsi qu’un certain Paul McCartney. Dans Imagine, film-documentaire sur sa vie, John se souvient : « on s’est connus le jour où j’ai chanté « Be-Bop-a-Lula » pour la première fois sur scène. Après le spectacle, on a discuté et j’ai vu qu’il avait du talent. Dans les coulisses, il jouait à la guitare « Twenty Flight Rock » d’Eddie Cochran. Je l’ai regardé et je lui ai dit tout de suite « tu veux entrer dans le groupe ? » et je crois qu’il a dit oui le lendemain ». Maintenant étudiant aux beaux-arts, John se lie également d’amitié avec Stuart Sutcliffe. Et bien que ce dernier se destine à la peinture, Lennon parvient à le convaincre d’acheter une basse avec l’argent gagné lors de la vente d’une de ses toiles. De son côté, Paul présente George Harrison au groupe qui finit par l’accepter malgré son jeune âge, il a 15 ans et John 18, un choix motivé par son jeu et sa technique déjà très prometteurs.
Le 15 juin 1958, Julia Lennon est tuée par la voiture d’un policier en état d’ébriété devant la maison de Mimi. Si cet événement le rapproche considérablement de Paul dont la mère est décédée deux ans auparavant, quelque chose se brise chez John. Plus tard, il déclarera : « J’ai perdu ma mère deux fois : la première quand j’ai emménagé chez ma tante et la deuxième au moment où je reprenais mes relations avec elle. Ce fut vraiment un moment horrible, très traumatisant. Ca m’a rendu très, très amer ». Révolté, il met sa colère et son agressivité au service du rock’n’roll quand il ne sème pas le trouble partout où il passe. Cependant, il progresse et le groupe commence à sortir du lot bien que la place de batteur ne soit pas encore véritablement attribuée.
Le 29 août 1959, les Quarry Men inaugurent la scène du Casbah et y rencontrent le fils de la propriétaire qui joue justement de la batterie. Pete Best devient rapidement le batteur attitré de la formation qui change son nom à plusieurs reprises avant de devenir définitivement The Beatles. Pour parfaire son apprentissage de la scène, le quintette embarque pour l’Allemagne direction Hambourg où le rock’n’roll est déjà bien ancré dans les mœurs. C’est la première de cinq tournées outre Rhin, une période survoltée au cours de laquelle ils enregistrent leur premier 45 tours en accompagnement du chanteur Tony Sheridan et subissent un premier changement majeur. Tombé fou amoureux d’Astrid Kirchherr, photographe de talent et instigatrice de la célèbre coupe de cheveux du groupe, Stuart décide de rester à Hambourg pour se remettre à peindre et Paul lui succède au poste de bassiste.
En novembre 1961 lors d’un de leurs retours au bercail, ils sont repérés par un disquaire du nom de Brian Epstein. Véritablement emballé par leur prestation, il endosse aussitôt le rôle de manager. Malgré une première audition infructueuse chez Decca, il croit fermement que la réussite des Beatles n’est qu’une question de temps. A l’occasion d’une nouvelle tournée en Allemagne début avril 1962, ils apprennent le décès de Stuart. Un nouveau coup dur pour John qui semble plus que jamais décidé à conduire le groupe au sommet de son art en souvenir de son ami. Et les efforts ne tardent pas à s’avérer payants. Le 9 mai, c’est en auditionnant pour Parlophone, le sous-label d’EMI dirigé par George Martin, que les Beatles font mouche. Mais avant la signature du contrat en bonne et due forme, un ultime changement s’impose. Pete Best est remercié et Ringo Starr tourne définitivement le dos à Rory Storm and the Hurricanes pour s’installer derrière la batterie.
John épouse Cynthia Powell, rencontrée aux beaux-arts, le 23 août 1962 mais Brian Epstein, témoin de l’union, leur demande de ne pas ébruiter la nouvelle. En effet, les débuts fracassants du groupe sont tels que l’habile manager craint de décevoir les millions d’adolescentes déjà en adoration devant chacun des membres. Pour éviter tout litige au moment du choix des 45 tours, John et Paul, alors seuls compositeurs, acceptent de co-signer toutes leurs futures chansons. Alors qu’ils atteignent pour la première fois le sommet des charts anglais dès leur second single « Please, please me », Cynthia donne naissance à Julian le 8 avril 1963. Entièrement absorbé par sa carrière naissante, John est plus souvent sur les routes qu’à la maison et n’a rien du mari ni du père modèle. Mais le jeune prolétaire de Liverpool est exalté. Les Beatles parviennent sans mal à conquérir les USA et se produisent au très noble Ed Sullivan Show devant 73 millions de téléspectateurs. De l’engouement de la jeunesse pour ces nouveaux héros populaires naît l’idée d’un film témoignant des ravages de la beatlemania. La réalisation de A Hard Day’s Night est confiée à Richard Lester tandis que John publie son premier livre, sous le signe de l’humour et du mordant qui le caractérisent : In His Own Write. Au fil des albums, et d’un second film, Help ! sous la houlette du fidèle Lester, le groupe explose littéralement, brillamment porté par les compositions de plus en plus travaillées du tandem Lennon-McCartney. Le 26 octobre 1965, les quatre musiciens sont reçus à Buckingham Palace et se voient remettre la très distinguée médaille de l’empire britannique. Les Beatles ont l’art et la manière de rassembler les foules et si parents et enfants s’arrachent leurs disques, ils symbolisent, plus qu’une passerelle générationnelle, une société où le gouvernement serait à l’écoute de son peuple et de sa jeunesse.
Le revers de la médaille est cependant amer pour John qui mesure soudain le fanatisme de son public. Interviewé par Maureen Cleave, journaliste à l’Evening Standard, il déclare que les Beatles sont plus populaires que Jésus. Prononcée en aparté, le phrase scrupuleusement sortie de son contexte fait le tour du monde et les réactions ne se font pas attendre. Aux USA, les radios refusent de diffuser la moindre chanson du groupe et partout on détruit disques, livres et posters dans le feu de l’indignation. Déjà fatigués des tournées incessantes devant des fans hystériques plus occupés à hurler qu’à jouir du spectacle, les Beatles craignent maintenant pour leur sécurité après que le Ku Klux Klan ait proféré des menaces à leur encontre. Le 29 août 1966, les Fab Four donnent leur dernier concert au Candlestick Park de San Francisco entourés d’un service de sécurité renforcé. Après sept albums, deux films et des performances live gigantesques, le groupe souhaite abandonner la scène et se consacrer exclusivement au travail de studio. Mais pas avant d’avoir pris quelques jours de vacances. Alors que chacun prend du bon temps à sa guise, John rejoint Richard Lester en Espagne pour le tournage de son nouveau film intitulé How I won the War.
En novembre 1966, il fait une rencontre qui aura l’effet d’une véritable bombe à retardement à l’Indica Gallery où John Dunbar (encore marié pour l’anecdote à Marianne Faithfull) lui présente Yoko Ono, une artiste avant-gardiste japonaise. Il rejoint toutefois ses comparses en studio à la fin de cette même année pour travailler à l’élaboration du huitième album qu’ils veulent plus novateur que jamais. Le résultat tient en trois mots : chef d’œuvre. Déjà largement perçue sur Rubber Soul et Revolver, les deux albums précédents, la capacité des Beatles à surprendre et à explorer sans cesse de nouveaux terrains sonores éclate aux oreilles de l’auditeur dès la première écoute de Sgt Pepper’s lonely hearts club band. Encensé par la critique, plébiscité par le public et cité en exemple par la profession tout entière, l’album est également un modèle de psychédélisme. Nous sommes en juin 1967, à l’aube du fameux Summer of Love et il est encore possible de se procurer du LSD dans les pharmacies. Le Swinging London bat son plein dans des volutes de fumée de cannabis et les Beatles sont aux premières loges. Ils vont même jusqu’à s’associer à quelques grands noms de la culture anglaise pour acheter une page dans le Times où ils se déclarent en faveur de la légalisation de la marijuana. A la sortie de l’album, la BBC censure d’emblée « Lucy in the Sky with Diamonds » et « A day in the Life » car elle juge que les références à la drogue y sont trop explicites. Le fait que ces chansons aient toutes deux été écrites en majeure partie par John n’est en rien le fruit du hasard. La décision de privilégier désormais le travail de studio laisse beaucoup de temps libre à chaque Beatle, et c’est une occasion pour lui de s’apercevoir que sa vie personnelle ne le satisfait pas. Et si c’est Paul qui admet lors d’une interview avoir déjà pris du LSD, Lennon en devient un consommateur plus que régulier. Dès lors, celui qui a fondé les Beatles va traverser une période sombre, laissant la direction artistique de ce qui fut son groupe à l’audacieux bassiste qui maniera frénésie créative et expérimentations de génie d’une main de maître.
Décidément ancrés dans leur époque, les Fab Four participent à un séminaire du Maharishi Mahesh Yogi qu’ils rejoignent aux Pays de Galles. Là-bas, ils apprennent la mort de Brian Epstein retrouvé à son domicile le 27 août 1967. La situation de crise est telle qu’ils s’envolent un temps pour l’Inde en février 1968 afin d’étudier la méditation transcendantale. Pour John et Cynthia, c’est le voyage de la dernière chance. Là bas, loin des drogues et de toutes les tentations offertes par l’Angleterre, il semble s’assagir et mettre toute son énergie à l’élaboration de nouvelles chansons pour le groupe. Elle le trouve transformé tandis qu’il lui promet d’en finir avec les excès et de devenir un meilleur mari ainsi qu’un vrai père pour Julian. Mais ses espoirs sont de courte durée. A son retour, il reprend contact avec Yoko Ono qui devient celle par qui le scandale arrive. Alors qu’il commencent à travailler sur des projets musicaux communs, ils entament également une liaison qui ne tarde pas à éclater au grand jour. Réalisant que son couple est définitivement dans l’impasse, Cynthia demande le divorce le 27 août 1968 et l’obtient le 8 novembre.
Pour son public, la rencontre de John avec cette obscure artiste japonaise de sept ans son aînée soulève une véritable polémique qui redouble lorsque le couple est arrêté en possession de résine de cannabis. Accusée de précipiter John dans un gouffre dont il vient à peine de se sortir, elle est également victime de racisme. Au sein du groupe, son entrée en scène ne passe pas non plus inaperçue. L’alchimie entre eux est telle qu’ils ne se quittent plus et c’est naturellement qu’ils assistent ensemble aux séances d’enregistrement de ce qui deviendra le double-blanc. A la sortie de l’album, l’influence de la muse sur l’artiste devient plus qu’évidente. Outre un apport vocal de la dame, certes bref, mais très remarqué sur « The Continuing Story of Bungallow Bill », John et Yoko livrent les prémices de leur travail conjoint. Complètement en décalage avec le reste du disque, « Revolution 9 » relève plus du collage sonore que de la chanson pure et simple. Et s’il ne fait aucun doute que Paul le mélodiste n’a pas grand-chose à voir dans l’histoire de sa conception, elle est estampillée Lennon/McCartney pour des raisons plus contractuelles qu’artistiques. Fermement décidé à imposer ses nouvelles inspirations musicales, le couple publie son premier album, huit jours à peine après la sortie du double blanc. Unfinished Music Number One : Two Virgins scandalise tant sur le fond que sur la forme. Disque expérimental et quasi-inaccessible à un fan des Beatles, il est boudé par le public qui s’insurge de voir John et Yoko s’affichant dans le plus simple appareil sur la pochette qui est immédiatement censurée et commercialisée sous un emballage de papier marron, guère plus élégant, mais plus acceptable par l'establishment. Toujours partant quand il s’agit de prendre les médias à contre-pied, Lennon « pactise avec l’ennemi » en allant rejoindre les Rolling Stones en décembre à l’occasion de leur Rock’n’Roll Circus invariablement accompagné de Yoko. Composé d’Eric Clapton à la lead guitar, John Lennon à la guitare rythmique, Mitch Mitchell (Jimi Hendrix Experience) à la batterie et Keith Richards exceptionnellement à la basse, les Dirty Mac brillent le temps d’un « Yer Blues » de légende.
Alors que les fans commencent à craindre le pire en ce qui concerne l’avenir du groupe, les Fab Four se réunissent à Abbey Road pour mettre un nouvel album en chantier. C’est que pendant que John multiplie les projets qui le tiennent éloigné des Beatles, Paul s’investit pour sauver ce qui peut encore l’être et arrive avec une idée d’album associé à un documentaire qui en retracerait l’enregistrement. Mais la magie des débuts ne revient que pour un temps limité. Après un concert spontané sur le toit d’Apple le 30 janvier 1969 qui redonne espoir à tout un chacun que tout est encore possible, la pression et les tensions redeviennent insoutenables. On évoque qui le dirigisme de Paul, la présence incongrue de Yoko ou ses disparitions fréquentes avec John, mais le projet tourne court quand George, à bout, quitte le studio et momentanément le groupe. Entre autres coups en douce, John engage Allen Klein, contre l’avis de Paul, pour gérer les affaires courantes du groupe. Alors que rien ne va plus sur la planète Beatles, John épouse Yoko à Gibraltar le 20 mars 1969 et apporte un changement à son état civil qui prouve son attachement inconditionnel à son épouse en devenant John Ono Lennon. Ils s’envolent ensuite pour Amsterdam, puis Montréal pour une lune de miel médiatique qui défraye encore la chronique. Allongés dans leur lit, John et Yoko reçoivent personnalités et curieux, discutent et en profitent pour enregistrer leur nouvel hymne à la paix « Give peace a chance ». Dans la foulée, il publient Unfinished Music Number two : life with the lions, un disque tout aussi expérimental que son prédécesseur.
Côté Beatles, l’incertitude laissée après l’abandon du dernier projet en cours est brièvement écartée à l’été 69 alors qu’ils enregistrent Abbey Road. Mais avant même sa commercialisation, John s’entoure de Klaus Voormann, Alan White et Eric Clapton et monte sur scène sous le nom du Plastic Ono Band au Toronto Rock’n’Roll Festival. Grisé par ce nouvel élan de carrière, Lennon annonce son désir de quitter le groupe à Paul McCartney et Allen Klein qui lui demandent de ne rien ébruiter dans l’immédiat, l’album n’étant pas encore en vente. Bien accueilli par le public, Abbey Road n’en sauve pas les Beatles pour autant. De plus en plus engagé politiquement, John se distingue du groupe et retourne sa médaille de l’Empire Britannique pour protester contre l’engagement de son pays dans les conflits du Viet Nam et du Biafra. Comme pour accentuer encore la rupture, il se produit seul au Top of the Pops pour la promotion de son nouveau 45 tours « Instant Karma », et se fait couper les cheveux. Ringo le suit dans cette voie et fournit son premier effort solo : Sentimental Journey. Préférant clore le débat avant de se lancer à son tour, Paul annonce début avril qu’il n’a plus l’intention d’enregistrer avec les Beatles, une décision illustrée par l’arrivée dans les bacs de McCartney le 10 avril 1970. Pour refermer le chapitre, Allen Klein en profite pour lancer Let it Be, le projet abandonné l’année précédente, le mois suivant, un album aux allures de chant du cygne accompagné du film-vérité projeté en avant-première sans qu’aucun Beatle ne daigne faire le déplacement. La séparation est consommée…
Pour John, c’est la libération ! Le 11 décembre 1970, il sort Plastic Ono Band, son premier album studio en solo. Retrouvant intacte son envie de jouer, il entame les séances d’Imagine sur le sol anglais avant de s’installer à New York où l’album est finalisé et mixé pour sortir le 9 septembre 1971. Outre un regain de créativité, cette nouvelle production donne à entendre un Lennon plus engagé mais surtout plus pacifiste que jamais et le titre éponyme devient rapidement un hymne universel d’unification, d’amour et de paix. Le 28 octobre, il appelle encore au rassemblement avec « Happy Xmas (War is Over) ». Si jusque là le gouvernement américain l’a laissé agir à sa guise et prendre part à tous les combats sans sourciller, le 11 décembre lorsqu’il apporte son soutien pour la libération de John Sinclair, un des leaders du mouvement contestataire afro-américain des Black Panthers, il devient plus que gênant. Dès lors, la CIA et le FBI travaillent conjointement et se livrent à une véritable « chasse aux sorcières ». John et Yoko sont étroitement surveillés. En dépit d’une procédure lancée par le sénateur Storm Thrumond visant à les faire expulser des USA, ils continuent de se laisser porter par leurs aspirations artistiques. En janvier 1972, ils élargissent leur champ d’action et créent Yoko Films, leur compagnie cinématographique destinée à produire leurs œuvres avant-gardistes. En juin, ils en reviennent à la musique et sortent le double LP Some Time in New York City sur lequel on peut notamment revivre leur prestation live aux côtés de Franck Zappa sur la scène du Filmore East de New York l’année précédente. Le 13 août, le couple accompagné par le groupe Elephants Memory donne deux concerts de charité au Madison Square Garden pour l'enfance handicapée, et réunit $250 000 de recette, plus $60 000 de leur poche, tandis que la chaîne TV ABC allonge $300 000 supplémentaires pour filmer l'événement.
Si les Beatles semblent désormais bien loin, les espoirs éternels de reformation des fans prennent des allures de rumeurs, amplifiées en mars 1973 quand John, Paul et George viennent prêter main forte à leur ancien comparse qui enregistre l’album Ringo. Cependant, et bien qu’il n’y soit pas le bienvenu, John tient fermement à rester aux Etats Unis et les Lennon investissent le 1er avril l’imposante bâtisse du Dakota, près de Central Park. « Sans terre, sans frontière, sans passeport, seulement des gens », c’est la description qu’ils donnent de Nutopia, pays virtuel qu’ils créent, une métaphore onirique de leur crû semblant signifier qu’ils ont enfin trouvé l’endroit où il fait bon vivre. Ironie mâtinée de tragédie quand on songe que ce sera la dernière demeure de John. En septembre, Yoko lance un pavé dans la mare en demandant à son ex-beatle de mari de quitter le foyer conjugal. Elle organise alors scrupuleusement son départ pour Los Angeles, sans omettre de lui attribuer une « assistante » en la personne de May Pang avec qui John passera les dix-huit prochains mois de ce qu’il appellera son Lost Week-End (littéralement week-end perdu). Très vite rattrapé par les démons de sa jeunesse, il n’est pas rare de le croiser dans les lieux nocturnes les plus en vues de la Cité des Anges en compagnie notamment de Keith Moon, le bouillonnant batteur des Who. Tout comme il n’est pas rare de les voir contraints de quitter ces mêmes lieux, ivres morts et dans des situations parfois cocasses. Citons pour exemple une soirée de mars 1974 où John se fit virer du Troubadour, un tampax sur la tête… Entre deux escapades alcoolisées, il n’abandonne cependant pas la musique et publie Mind Games le 2 novembre 1973. Le 1er avril 1974, Paul rejoint son ex-acolyte et le duo reformé improvise un medley Beatles accompagnés de Stevie Wonder, Keith Moon et Harry Nilsson. Ces retrouvailles impromptues ont beau mettre le feu aux poudres pour tous les beatlemaniaques, John reprend seul la route des studios. Walls and Bridges est commercialisé le 26 septembre 1974 et lui amène son premier 45 tours numéro un en solo le 16 novembre grâce au titre « Whatever Gets you Through the Night ».
En grand visionnaire de l’époque, Elton John qu’il fréquente beaucoup à cette période lui a proposé un pari : si le single atteint la première place des charts US, Lennon s’engage à remonter sur scène. C’est chose faite le 28 novembre au Madison Square Garden où les deux comparses interprètent trois morceaux dont celui à l’origine du marché. La victoire est double pour John. Comblé sur le plan professionnel maintenant que sa carrière solo remporte l’adhésion du public, il ne tarde pas à l’être à nouveau sur un plan plus personnel. Yoko, présente dans la salle, le rejoint en coulisses et il réintègre le Dakota les jours suivants. Les rumeurs du retour des Beatles, allègrement alimentées par Lennon lui-même, n’ont jamais été aussi persistantes depuis leur séparation. L’imminence du verdict dans le procès qui doit les libérer de leur contrat initial et le fait qu’ils fassent front tous les quatre comme au bon vieux temps finit de persuader les derniers sceptiques. Paul invite même John à participer aux séances de son prochain album (Venus ans Mars) mais toujours habile lorsqu’il s’agit de brouiller les pistes, ce dernier décline pour travailler auprès de David Bowie sur l’album Young Americans (on peut l’entendre au chant sur « Fame » qu’ils co-écrivent). Le 17 février 1975, l’album Rock’n’Roll est mis en vente. Au menu ? Des standards des années 50 repris par Lennon avec Phil Spector dans le rôle du producteur illuminé. En guise de pochette, un cliché réalisé à Hambourg par Astrid Kirchherr qui ajoute encore un brin de nostalgie.
Avec ce disque, il retourne aux sources. Pour tourner la page définitivement ? Tout reprendre au début ? Le destin lui permettra de faire les deux. Après trois fausses couches, Yoko est enceinte. Le moment est venu pour John à la fois d’aller de l’avant et d’assumer des responsabilités de père qu’il n’a jamais prises avec Julian. Sean Tara Ono Lennon vient au monde le 9 octobre 1975 pour le 35ème anniversaire de l’heureux papa qui, littéralement transporté de bonheur, décide de mettre sa carrière entre parenthèses afin de se consacrer entièrement à son fils. Et ce n’est pas la visite de Paul et Linda au Noël suivant qui le fera changer d’avis même si la soirée se déroule en toute convivialité. Dorénavant, les querelles du passé semblent malgré tout entérinées et l’on verra souvent le brillant bassiste venir lui rendre visite. Le 10 janvier 1977, les quatre ex-Beatles sont légalement autorisés à poursuivre chacun leur carrière sous leur seul patronyme, dégagés du contrat qui les liait encore à Allen Klein. Cette liberté artistique retrouvée ne voit aucun nouveau projet poindre dans l’horizon d’un John qui a délaissé guitares et pianos pour concevoir lui-même son pain pendant que Yoko gère les affaires du couple d’une main experte. A l’été 1980, peu habitué à ce mode de vie casanier, le père au foyer modèle qu’il est devenu part s’aérer avec Sean aux Bermudes. Là-bas, il retrouve à la fois ses esprits et l’envie de composer. De ses longues conversations téléphoniques avec Yoko restée à New York naît l’idée d’un album entièrement écrit à quatre mains qui serait une sorte de dialogue entre les deux époux. A son retour, les choses se concrétisent. Le producteur Jack Douglas est contacté et John opte pour le studio new yorkais Hit Factory. Le 22 septembre 1980, le contrat est signé avec David Geffen. Tout semble placé sous les meilleurs auspices. Le 9 octobre 1980, les habitants de Manhattan peuvent admirer le message de paix écrit dans le ciel par un avion, cadeau de Yoko pour les 40 ans de John et les 5 ans de Sean.
Le 17 novembre 1980, le grand retour de(s) Lennon est confirmé avec la parution de Double Fantasy. Si la quarantaine semble l’avoir guidé vers la route de la maturité, l’ex-beatle semble plus serein que jamais. Ses problèmes d’obtention de visa étant définitivement terminés depuis l’obtention de sa carte verte, on murmure même qu’il serait prêt à poser à nouveau le pied sur le sol anglais. Des rumeurs corroborées par le coup de fil qu’il passe à Mimi le 6 décembre. Deux jours plus tard, ces beaux projets sont réduits à néant. Alors qu’il rentre d’une séance de mixage de « Walking on Thin Ice » le prochain 45 tours, il est abattu devant le Dakota par Mark David Chapman. Dicté par ce qu’il qualifiera de conscience supérieure, Chapman ne manifeste aucun regret quant à son geste et n’essaiera même pas d’échapper aux forces de l’ordre. Quatre des cinq balles de calibre 38 qu’il tire à bout portant atteignent leur cible. Bien que rapidement transporté à l’hôpital, John Lennon meurt le 8 décembre 1980. Hagarde, Yoko téléphone successivement à Julian, Paul et Mimi mais la nouvelle se répand plus vite qu’une traînée de poudre et le monde entier pleure son héros. De rassemblements devant le Dakota en marches silencieuses autour de Central Park, des fans en provenance de tous les continents viennent exprimer leur tristesse et leur désarroi dans un immense sanglot collectif. Leur rêve est définitivement brisé… Restée seule aux commandes, Yoko assure la sortie du single sur lequel ils travaillaient le soir du drame avant de se retirer un temps en Suisse à l’abri des médias. D’albums d’inédits (citons entre autres Milk and Honey en 1984 et Menlove Avenue en 1986) en morceaux inachevés retrouvés (elle sera à l’origine de la formation des Threetles pour la sortie des trois Anthology au milieu des années 90, occasion de découvrir deux nouveaux titres « Free as a bird » et « Real Love »), elle s’attache à perpétuer l’œuvre de John de par le monde, faisant fi des attaques qui fusent encore aujourd’hui à son encontre. Car si le respect se gagne parfois avec les années, pour beaucoup, elle reste à l’origine de la fin des Beatles.
Si la décennie des sixties s’achève avec la séparation des Beatles, celle, plus sombre qui lui succède s’effondre avec John Lennon le 8 décembre 1980. Artiste complet (de la musique à la peinture en passant brièvement par le cinéma), sa mort violente à l’aube d’un retour annoncé fracassant le fait instantanément passer du stade de héros à celui de légende. Bien que ses choix de carrière n’aient pas toujours remporté l’unanimité auprès de ses fans même les plus inconditionnels, il a indéniablement gardé son intégrité, fonçant tête baissée lorsqu’il s’agissait de défendre une cause qui lui tenait à cœur. Sur le plan musical, ce n’était certes pas un guitariste de la trempe de Hendrix, Page ou Clapton, mais véritablement un compositeur de talent quand il n’était pas tourmenté par ses penchants autodestructeurs. Homme du peuple et leader charismatique, il laisse en héritage de grandes idées de solidarité ainsi que de nombreux hymnes, que ce soit avec les Beatles ou en solo, que les enfants apprennent aujourd’hui dans les écoles. Fauché dans la fleur de l’âge, il aura échappé au désordre ambiant, à la télé réalité et au 11 septembre 2001 comme autant de chansons et de combat auxquels nous n’assisterons jamais. Mais sa voix résonne encore comme l’accord qui clos « A Day in a Life » et il en sera toujours ainsi. En préface du livre Imagine qui accompagne le film documentaire sur la vie de John, Yoko le résume ainsi : « comme je l’ai dit il y a longtemps « il est un vent qui ne meurt jamais, je ne savais pas que c’était toi». Et l’Histoire de lui donner enfin raison quand le 28 juillet 2005, le manuscrit original du titre « All you need is Love » trouve acquéreur, lors d’une vente aux enchères, pour la somme de 600 000 livres. Le rêve est peut-être brisé mais la magie continue…
Copyright 2010 Music Story Pricilia Decoene
John Lennon