Fils d’un diplomate international de l’UNESCO, rien ne semblait prédestiner Pierre-Alain Leclerc, né le 4 octobre 1947 à Paris, à une carrière artistique. S’il semble dès le départ être promis à une carrière diplomatique, politique ou journalistique (à l’image de son demi-frère Gérard Leclerc, au sein du groupe France Télévisions), Pierre-Alain n’est est pas moins un enfant de son temps, dont l’univers acoustique de jeunesse s’enrichit des sonorités nouvelles venues d’Amérique, lesquelles sont à mille lieues des cours de piano obligatoires qu’il prend depuis l’âge de 6 ans. Il faudra au futur Julien Clerc la découverte de Jerry Lee Lewis, de son « Great Balls of Fire » et des jazzmen américains pour le convaincre que le piano n’est pas uniquement dévolu à la musique de chambre. Tiraillé entre la culture mixte de ses parents (sa mère est guadeloupéenne) et marqué par leur divorce, des thèmes qu'il évoquera bien plus tard dans l'album Double Enfance,le futur Julien Clerc se raccroche à ces sons venus d'ailleurs.
Autodidacte, il prend l’habitude de reproduire sur son instrument les tubes qu’il entend à la radio. Une petite gymnastique autant manuelle qu’intellectuelle qui permet au jeune pianiste, qui n’hésite pas à retravailler les morceaux reproduits, de développer des talents d’improvisation autant que de composition originale. Ses premières compositions originales, c’est au lycée qu’il les fait, en compagnie d’un de ses condisciples de classe, Maurice Vallet, qui deviendra l’un de ses paroliers récurrents à l’avenir. Ayant échoué au concours d’entrée à Sciences-Po, Pierre-Alain se voit contraint d’oublier la vénérable institution de la rue Saint-Guillaume pour s’inscrire à la fac. Heureuse coïncidence : c’est dans les cafés du Quartier Latin aux alentours de la Sorbonne, où il suit des cours de droit, qu’il fait la connaissance de l’un de ses futurs collaborateurs artistiques, Etienne Roda-Gil.
Laissons, laissons entrer le soleil...
De 1966 à 1969 le trio Vallet - Roda-Gil - Leclerc – qui adopte alors le pseudonyme de Julien Clerc – compose un certain nombre de morceaux que l’artiste propose, en vain, aux radios et maisons de disques. 1968 passant par là, le jeune Julien, qui s’est fait pousser les cheveux et adopte les chemises à fleurs pour coller à son époque, décroche une audition auprès de Pathé-Marconi, ce qui lui permet de lancer sa carrière avec le titre « La Cavalerie », opportunément diffusée en boucle entres les flahes info d'Europe 1 à l'occasion des « événements » de mai. Du jour au lendemain, la voix légèrement chevrotante du chanteur paraît familière. Cette année-là sort son premier album avec l'autre titre-vedette « Yann et les dauphins ».
L’année suivante, c’est en première partie de Gilbert Bécaud qu’il affronte le public de l’Olympia. Si le public apprécie poliment sa prestation, le look de baba-cool et la voix chaude de Julien Clerc attirent l’attention de Jacques Lanzmann et Bertrand Castelli, les producteurs de la version française de Hair, comédie musicale surfant habilement sur la mode hippie et qui cartonne en Grande-Bretagne en cette année 1969, après avoir conquis Broadway. Engagé pour tenir le rôle de Claude Bukowski (en alternance avec Gérard Lenorman et Michel Zacha), Julien Clerc participe à la mise en scène de cet « opéra-rock hippie » dont la version française se veut bien plus osée que son homologue anglo-saxonne. Des scènes de nu intégral sur les planches du Théâtre de la Porte Saint-Martin provoquent d’ailleurs le scandale et une interruption de la pièce par quelques excités de l’Armée du Salut. Qu’importe, Hair est un succès dans l’Hexagone avec le tube « Laissons entrer le soleil », et la critique américaine reconnaît qu’il s’agit là de la meilleure adaptation de la pièce originale de Gerome Ragni, James Rado et Galt McDermot, que même la version cinéma de Milos Forman en 1979 ne parvient pas à égaler. Si Julien Clerc rencontre le succès, il fait également la connaissance de l’une des choristes de la comédie musicale, France Gall, avec qui il entame une liaison ainsi qu’une collaboration artistique jusqu’en 1974.
D'albums en succès
Une fois le succès de Hair passé, Julien Clerc rebondit et décide de se consacrer à sa propre carrière sous son nom propre. Son second album Des Jours Entiers à T’aimer (1970), arrangé par Jean-Claude Petit, où l’artiste réussit le tour de force d’évoquer à la fois la Californie et Bourg-en-Bresse sur le même album, est honoré du Prix de l'Académie Charles-Cros. Le suivant, Julien Clerc (1971), qui inclut « Ce n'est rien » et « Niagara », est toujours écrit en collaboration avec Vallet et Roda-Gil. Il lui permet de passer en vedette à l'Olympia en décembre, et consolide son succès. En 1972, le disque Liberté, Egalité ou la Mort popularise le titre « Si on chantait » et totalise deux disques d'or à lui seul. Dans les 30cm suivants Julien (1973) et Terre de France (1974), Julien Clerc poursuit son chemin dans cette veine douce et romantique. En 1974, il est récompensé par cinq disques d’or.
Les albums sortent avec constance les années suivantes : sur le septième du nom, comporte également « This Melody » et « Elle voulait qu'on l'appelle Venise », le titre « Souffrir par toi n'est pas souffrir » (1975) évoque sa relation avec France Gall ; et sur le suivant, A Mon Âge et à l'Heure qu'il est (1976), ses deux nouveaux auteurs fétiches Jean-Loup Dabadie et Maxime Le Forestier se partagent six textes, tandis que l'interprète prend part à la composition et aux arrangements. Sur scène, Julien Clerc est accompagné par le groupe Système Crapoutchik, fleuron de la pop à la française à la fin des années 60 abonné aux comédies musicales (Hair, Godspell et La Révolution Française). Son spectacle au Palais des Sports (janvier 1977), magnifié par l'association avec la chanteuse Geneviève Paris, est l'occasion de sortir un triple album live réunissant les classiques d'une décennie particulièrement riche.
Accédant au vedettariat, Julien Clerc se voit contacté par Jean-Pierre Blanc, le réalisateur de D’amour et d’eau fraîche, qui lui offre un rôle de pianiste aux côtés d’une petite blonde au visage mutin, ancienne du Café de la Gare de Romain Bouteille : Miou-Miou. Si le film en lui-même reste parfaitement oubliable (et d’ailleurs oublié), le tournage permet aux deux jeunes gens d’entamer une relation qui donnera naissance à Jeanne, la première fille de Julien Clerc en 1978. L’artiste a alors à peine 30 ans et est une star nationale. Un anniversaire célébré en beauté par Maxime Le Forestier, vieil ami de Julien, qui pour l’occasion lui offre une chanson « J’ai eu 30 ans », reprise sur l’album Jaloux en 1978, sa plus grosse vente, où l’on retrouve certains des plus gros tubes du chanteur : « Ma préférence » co-signé avec Jean-Loup Dabadie, « Travailler c'est trop dur », air cajun adapté de Zachary Richard, et « Macumba ».
« Femmes… je vous aime »
Toujours un peu hippie sur les bords et gentiment écolo, Julien Clerc décide de prendre un peu de champ avec la capitale, d’autant que son couple avec Miou-Miou ne se porte pas bien. En 1979, il investit dans l’élevage de moutons dans l’Yonne et ne fera un rapide passage à Paris que pour l’enregistrement et la promotion de deux nouveaux albums, qui paraissent en 1980 (dont Sans Entracte avec une rare collaboration de Serge Gainsbourg, « Mangos »), ainsi que pour la composition de titres du spectacle écrit par Philippe Chatel, Emilie Jolie, à destination des enfants, dans lequel il tient le rôle du Grand Oiseau. Le début de cette décennie est marquée par deux ruptures dans la vie de l’artiste : celle – artistique – avec Etienne Roda-Gil, en 1980, puis l’autre – affective cette fois – avec Miou-Miou l’année suivante. Cependant, revigoré par la victoire de François Mitterrand en 1981, pour lequel Clerc n’a jamais caché sa sympathie, l’artiste repart en tournée à travers la France. En 1982, le douzième album l’album Femmes, Indiscrétion, Blasphème, inaugurant une collaboartion avec Luc Plamondon, est porté par le succès des singles « Lily voulait aller danser », « Cœur de rocker » et surtout «Femmes… je vous aime », cri d’amour lancé par le chanteur au beau sexe en général. Il est couronné par un triple disque de platine.
Moins productif qu’à ses débuts - qui voyaient la sortie d’un, voire de deux albums par an - Julien Clerc prend désormais son temps pour composer ses nouveaux morceaux, ne souhaitant pas être piégé par la routine, et rajeunit son image à l’aune des années Top 50. Bénéficiant d’une forte cote de popularité sans interruption depuis ses débuts, l’idée d’installer un chapiteau à la Porte de Pantin (Paris) pour y donner des concerts pendant cinq semaines ne lui fait pas peur. Le pari réussi fait l’objet d’un live, Pantin 83. En 1984, «Mélissa» et « La fille aux bas nylon », tirés de l’album Aime-Moi font danser la France, alors que Julien Clerc décide de consacrer une grande partie de son emploi du temps à sa nouvelle compagne, Virginie Couperie, qu’il épouse dans l’année. Bien qu’il préside cette année-là la soirée des Victoires de la musique, Julien Clerc décide d’entamer une carrière de père à plein temps car, en plus de Jeanne, la fille qu’il eut avec Miou-Miou, Virginie met au monde deux enfants entre 1985 et 1989, Vanille et Barnabé. Un seul album en 1987, Les Aventures à l’Eau, pour le label Virgin et comptant les collaborations de Dabadie, Plamondon, David McNeil et Françoise Hardy, vient interrompre ce contrat longue durée de papa modèle.
Double anniversaire
Les années 1990 voient le chanteur renouer avec le rythme frénétique de création qui caractérisait la décennie 1970. Fais-moi une Place (1990) relance l’intérêt du public pour Julien Clerc, qu’on aurait pu croire en perte de vitesse artistique. Le chanteur renoue avec Maurice Vallet, et invite un nouveau parolier en la personne de Jean-Louis Murat. Même si les albums live succèdent aux compilations, le chanteur réussit à sortir avec régularité des albums originaux comme Utile (1992) ou Julien (1997). 1997, justement, année au cours de laquelle Julien Clerc fête en public ses cinquante ans d’existence et ses trente ans de carrière au Palais des Sports, un double anniversaire placé sous l’auspice des retrouvailles puisque pour les besoins d’Utile et de Julien, le chanteur s’est de nouveau associé à Etienne Roda-Gil. Ce concert est également l’occasion pour l’artiste d’inviter de nombreux amis sur scène pour donner naissance à autant de duos qui fournissent la matière au live intitulé Le 4 Octobre. À ses côtés, c’est toute une partie de la scène française (Pascal Obispo, Alain Souchon, Françoise Hardy, Marc Lavoine, Maurane...) qui vient pousser la chansonnette sur les titres les plus connus de Julien Clerc.
En 2003, pour les besoins de l’album Studio, Julien Clerc revisite le patrimoine des crooners américains et adapte, avec une certaine réussite, une partie non négligeable des œuvres de Nat King Cole, Cole Porter ou Irving Belin, sans oublier de rendre un hommage à Frank Sinatra. Un album où une flopée d’invités prestigieux se bousculent au portillon, de Maxime Le Forestier à Benjamin Biolay en passant par Alain Souchon, Jean-Loup Dabadie ou la future première dame de France, Carla Bruni. Cette même année, Julien Clerc est nommé « Ambassadeur de bonne volonté auprès de l’ONU », commençant par offrir les droits d’auteur de son titre « Partir ». 2004 s’avère toutefois plus tragique pour l’artiste, qui doit encaisser le décès d’Etienne Roda-Gil, alors que les deux hommes étaient en train de travailler sur un nouveau projet d’album. Clerc inclut les deux derniers titres de son parolier dans son album de 2005, Double Enfance, en guise d’hommage à son vieux compagnon de route, et renouvelle sa collaboration avec Carla Bruni sur trois titres.
2008 est l'occasion d'un nouvel album avec Où S'en Vont Les Avions ?, le toujours jeune et sémillant sexagénaire met à profit la tournée qui s'en suit pour sortir Tour 09. Julien Clerc, toujours en phase avec son public, effectue ainsi un bilan scénique des plus agréables.
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- 2011