Auteur new-yorkais par excellence, Paul Frederic Simon, né dans une famille de juifs russes et roumains, débute adolescent en duo avec son voisin Arthur Garfunkel. Les deux garçons s'intègrent à différentes formations de doo wop avant de se mettre à écrire des chansons. Tom (Garfunkel) et Jerry (Simon) se modèlent sur leurs idoles, les Everly Brothers, et obtiennent, dès 1957, un tube enlevé dans la plus pure tradition des romances adolescentes en vogue à l'époque : « Hey Schoolgirl ». Classé dans le Top 10 new-yorkais et le Top 50 national, ce premier single scelle la vocation de Paul Simon. Malheureusement pour Tom et Jerry, leurs trois essais suivants se solderont par des échecs, et Garfunkel se concentrera à nouveau sur ses études, cependant que Simon quittera au plus vite le lycée de Queens pour faire ses classes dans les studios et chez les éditeurs de Manhattan.
Folk
“Bob Dylan a été le premier à écrire sur la vie et le monde, avec intelligence et maîtrise du langage. C'est lui qui m'a encouragé à m'y mettre sérieusement. New Exciting Sounds In Folk Tradition, sous-titre du premier album de Simon et Garfunkel à nouveau réunis, sur lequel figure une version de « The Times They Are A Changin' », marque en effet la conversion de Paul Simon à l'idiome de sa nouvelle idole, quoique dans une version dépourvue de toute rugosité. Hélas, Wednesday Morning 3 AM sera un bide et, début 1964, dépité, Paul s'exile en Europe, se produisant dans les clubs folk de Londres et de Copenhague et faisant la manche aux terrasses des cafés parisiens, ayant élu domicile sous le pont Neuf. C'est à ce moment-là qu'il complète son répertoire avec des chansons de voyage sur le modèle des ballades anglo-irlandaises alors en vogue, qu'elles parlent d'amour (« Kathy's Song »), de solitude (« Homeward Boumd ») ou de distance (« America »). À Londres, où il côtoie Sandy Denny, Al Stewart et Davy Graham, Simon finit par décrocher une séance d'enregistrement pour un programme religieux de la BBC. Le 27 janvier 1965, il grave douze chansons, dont quatre (« The Sounds Of Silence », « I Am A Rock », « A Most Peculiar Man » et « Bleecker Street ») sont retenues pour une diffusion à une heure d'écoute maximale au mois de mai. Un déluge de lettres d'auditeurs convainc CBS Londres de proposer à Paul Simon un nouveau contrat. Il enregistre ainsi The Paul Simon Songbook avec un unique micro, pour la somme modique de 60 livres sterling. Cet album véritablement solo n'aura pas le temps d'exister. Aux États-Unis, l'intérêt déclenché par « The Sounds Of Silence » auprès du public étudiant décide le producteur Tom Wilson, qui vient d'accoucher des débuts électriques de Bob Dylan, d'en concocter une version folk-rock en utilisant les mêmes musiciens. Quelques semaines plus tard, cette nouvelle mouture, inspirée par le « Mr.Tambourine Man » des Byrds de Jim McGuinn, qui jouait de la guitare sur « Hey Schoolgirl », est numéro un aux États-Unis, Paul Simon est de retour au pays et Arthur Garfunkel doit une fois de plus lâcher ses chères études.
Simon, Garfunkel...et Mrs Robinson
Un album sera publié en toute hâte début 1966, reprenant dans des arrangements semblables les principales chansons déjà enregistrées sur les deux albums précédents, dont « I Am A Rock », nouveau tube, qui fait de Paul Simon le nouveau chantre de l'aliénation adolescente. Albums diffusés sur toutes les antennes. Le succès sera formidable, faisant de Simon and Garfunkel les chouchous du public lycéen et étudiant, ému par leurs voix fragiles et haut perchées, leurs mélodies délicates, leur folk sophistiqué et la poésie précise et urbaine des chansons de Paul Simon. Mais c'est 1968 qui sera la grande année de Simon and Garfunkel. Après plusieurs singles assez rock et plutôt fraîchement accueillis (« A Hazy Shade Of Winter », « At The Zoo » et « Fakin'It »), « Mrs. Robinson » devient un succès planétaire grâce au film Le Lauréat, entraînant dans sa foulée l'album Bookends vers les sommets. L'année suivante, nouveau tube et nouveau classique avec l'autobiographique « The Boxer », que chanteront Joan Baez et Bob Dylan. Et, en 1970, c'est « Bridge Over Troubled Water » : chanson qui connaîtra plus de deux cents versions enregistrées, notamment par Aretha Franklin et Frank Sinatra, et un album immédiatement numéro un des deux côtés de l'Atlantique et qui restera une des plus grosses ventes de l'histoire de l'industrie discographique. Mais c'est précisément le succès faramineux de cette chanson qui va irriter Paul Simon, son auteur, lequel aspire à d'autres styles, comme en témoignent « El Condor Pasa » (avec Los Incas, rencontrés quelques années plus tôt dans les rues de Paris) et Cecilia.
Cavalier seul.
Après avoir pris des cours d'écriture, Paul Simon fait donc cavalier seul et publie en 1972 son premier album, qui le voit élargir encore son rayon musical. Il devient ainsi le premier musicien blanc à enregistrer du reggae à Kingston (« Mother And Child Reunion »), tâte de la musique brésilienne (« Me And Julio Down By The Schoolyard ») et retrouve Los Incas (« Duncan »). Paul Simon remplira parfaitement son office, révélant l'ampleur du talent d'auteur et de musicien du petit guitariste propret et timide à la voix de souris dont la contribution au succès de Simon et Garfunkel n'était jusque-là pas reconnue à sa véritable valeur. L'année suivante, There Goes Rhymin'Simon confirme cette excellence («American Tune »), avec mégatube (« Kodachrome ») et plongée dans le gospel (« Loves Me Like A Rock ») jusqu'à La Nouvelle-Orléans (« Take Me To The Mardi-gras »). Une tournée et un album live (Live Rhymin') plus tard, et c'est la première réunion avec Garfunkel, le temps d'un tube, « My Little Town », qui figure en 1975 sur leurs albums respectifs. Still Crazy After All These Years, où Paul Simon s'entoure du gratin des musiciens américains du moment, constitue l'album de la plénitude, de la maturité, de la chanson titre (l'expression « crazy after all these years », « toujours cinglé à cet âge », est depuis passée dans le langage courant) à l'ironique « 50 Ways To Leave Your Lover », qui devient son premier numéro un en solo. Bardé de Grammy Awards, cousu de tubes, Still Crazy After All These Years comble enfin toutes ses aspirations. Il s'offre ensuite une interruption discographique de cinq ans, qui le voit faire ses débuts d'acteur (hilarant en producteur californien dans Annie Hall, de Woody Allen), donner un coup de main à Garfunkel (« Wonderful World », en trio avec James Taylor), publier une compilation (Greatest Hits, etc.) sertie d'un nouveau tube désabusé (« Slip Slidin'Away ») et épouser l'actrice Carrie Fisher (la princesse Léia de la trilogie Star Wars, qui deviendra une romancière à succès).
Central Park
Ainsi plongé dans l'univers du cinéma, il effectue en 1980 un retour conceptuel avec One-Trick Pony, film sur un musicien de folk raté dont il est à la fois l'auteur, l'interprète et le réalisateur. Ce sera un échec, comme l'album du même titre, malgré le succès en single de l'entêtant « Late In The Evening ». Le 15 août 1981 à Central Park, devant cinq cent mille personnes, c'est la réunion triomphale et attendue de Simon et Garfunkel, qui se traduira par un album multi-platine (The Concert In Central Park) et une tournée mondiale. L'album studio envisagé dans la foulée, en revanche, est avorté, et Simon efface la voix de son souffre-douleur favori sur ce qui deviendra Hearts And Bones, disque introspectif accueilli par une indifférence boudeuse, malgré d'excellentes chansons comme « René and Georgette Magritte After The War » et « The Late Great Johnny Ace », écrite à la mort de John Lennon.
Graceland.
Au moment où l'on jugeait Paul Simon dépassé, bon à ranger au magasin des souvenirs nostalgiques des années 60 et 70, éliminé d'office par les vidéo-stars et les synthétiseurs, il publie en 1986 Graceland, album révolutionnaire, qui deviendra la pierre angulaire de la world music. Inspiré par la découverte du mbaqanga, musique sud-africaine extrêmement populaire, Paul Simon va collaborer avec le guitariste Ray Phiri et son groupe Stimela ainsi qu'avec Ladysmith Black Mambazo, sur un album inouï dans tous les sens du terme, sur lequel interviennent également Linda Ronstadt, Adrian Belew, Rockin'Dopsie, Los Lobos et ses idoles, les Everly Brothers. C'est que Paul Simon essaie en fait de recréer, internationalement, trente ans plus tard, le phénomène auquel il avait assisté aux États-Unis dans les années 50, et qui avait conduit à la naissance du rock'n'roll. D'où ce titre à la fois elvisien et théologique : Graceland. Véritable phénomène, numéro un universel, qui génère ses propres classiques (« The Boy In The Bubble », « Graceland », « Homeless », « You Can Call Me Al »), l'album triomphe grâce à ses mélodies irrésistibles, ses tempos contagieux, ses vocaux admirables et sa capacité à transcender les genres. La tournée qui s'ensuit (avec Miriam Makeba et Hugh Masekela) portera la bonne nouvelle world autour du monde, avant que ne se pose l'inévitable question : et maintenant ?
Explorateur.
La réponse, donnée par Milton Nascimento sur le parking d'un studio de Los Angeles, est au Brésil. Où Simon enregistrera, entre Rio et Bahia, moult voix et percussions, auxquelles il adjoindra musiciens sud-africains, camerounais (la bande de Manu Dibango : Vincent N'Guini, Armand Sebal-Lecco, etc.) et américains (dont J. J. Cale, Kim Wilson et les Brecker Brothers) pour donner naissance à The Rhythm Of The Saints en 1990. Beaucoup moins percutant que Graceland, cet album élégant et rêveur constituera une déception pour tous ceux qui attendaient un second chef-d'œuvre. La tournée Born At The Right Time, elle, effacera toute restriction, faisant de la nouvelle fusion folk mondiale de Paul Simon la véritable musique des années 90, celle de la fin d'un monde, celui qu'on avait connu jusqu'alors. Point d'orgue, le 15 août 1991, ce remake du concert à Central Park où Simon sans Garfunkel attire 500 000 personnes pour l'enregistrement d'un album live (Paul Simon's Concert In The Park) qui ne connaîtra malheureusement pas le même écho que son précédent de dix ans, bien que sa pertinence fût tout autre.
Le boxeur de Broadway
Remarié à la chanteuse Edie Brickell, qu'il produit désormais, Paul Simon l'explorateur sait que son avenir dépend exclusivement de sa capacité à écrire de nouvelles chansons qui capturent l'imagination et la réalité quotidienne de ses auditeurs, où qu'ils soient. Le “boxeur” a racheté le Brill Building, cet immeuble de Broadway où il côtoyait à ses débuts les plus grands compositeurs américains des années 50 et qu'il rêvait alors de rejoindre. C'est fait depuis belle lurette, précisément grâce à son sens aigu de l'histoire et de la géographie. Si son activité artistique se ralentit au cours des années 90, il s'attèle néanmoins à la réalisation d'une comédie musicale, The Capeman jouée en 1998 à Broadway, puis revient sur le devant de la scène avec le remarquable « You're the One »à l'automne 2000. Sort ensuite en 2006 le plus anecdotique Surprise.
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