Danny Elfman

Fils d'un pilote de l'US Air Force, Daniel Robert Elfman voit le jour le 29/5/1953. Nul, a part lui-meme et l'administration americaine, ne sait vraiment s'il pousse ses premiers vagissements a Los Angeles (Californie) ou a Amarillo (Texas), mais c'est cependant dans la Cite des Anges qu'il passe la majeure partie de sa jeunesse, prenant pour modele son frere, Richard, aussi excentrique que lui. Passant une grande partie de son temps libre dans les divers cinemas de Los Angeles, le jeune Danny, qui se reve deja en realisateur oscarisable, developpe tres vite une acuite particuliere pour l'habillage sonore des films, et montre tres jeune une sincere admiration pour Bernard Herrmann, le compositeur attitre d'Alfred Hitchcock, celui-la meme qui est a l'origine de la bande originale de Psychose (1960) et, bien evidemment, du celebre ? theme de la douche ?.

Intuitivement, Elfman commence a apprehender le concept de la fusion necessaire entre un film et son environnement musical. C'est tout naturellement qu'il se lance lui-meme dans la musique, sous le patronage de Richard, sans prendre la peine de passer par la case ? ecole de musique ?. Autodidacte surdoue, Danny Elfman est - et restera - un intuitif complet misant davantage sur la spontaneite creative, la primaute de l'ambiance sonore et l'approche globale autant que fusionnelle entre image et son, que sur le strict respect des partitions. Cette vision plus qu'originale de la composition lui vaudra de se faire considerer comme un fumiste double d'un jean-foutre par quelques-uns de ses futurs confreres.



Autodidacte de la contre-culture


Mais, a la seconde moitie des annees 1970, le plus creatif de la famille n'est pas Danny, mais son aine, Richard. Theatreux avant-gardiste et particulierement dejante, Richard est a la Californie ce que Richard O'Brien (concepteur et metteur en scene du Rocky Horror Picture Show) est a la Grande-Bretagne. Fou de series B, Z et de cinema de plein-air autant que de punk rock et de theatre ? conceptuel ?, l'aine des freres Elfman est le createur de la troupe de theatre-rock The Mystic Knight Of The Oingo Boingo auquel Danny se joint pour le chant, la guitare rythmique et, deja, la composition musicale. Avec sa voix haut perchee et ses arrangements foutraques, Danny devient le leader charismatique de ce groupe atypique, dont l'ambiance sonore mele synthes, cuivres et instruments acoustiques. Difficilement classable dans un genre musical, Oingo Boingo devient l'une des formations cultes de la scene alternative californienne avec ses titres bigarres (? Perfect System ?, ? Wild Sex?(in the Working Class)?? ou le tres derangeant ? Little Girls ? denonciation mordante de la pedophilie sous forme d'apologie vacharde de celle-ci), mais, malheureusement, ne depassera jamais vraiment le stade de groupe local de la West Coast.

Reste que les peregrinations braillardes d'Oingo Boingo sont pour Danny l'occasion de faire ses premiers pas dans la mise en scene et l'osmose acoustique avec le spectacle offert sur scene. Ironie debridee et delire sonore sont les deux mamelles de ce groupe qui sort plusieurs albums dont tres peu sortent du microcosme alternatif californien. Multipliant les projets excentriques, Richard Elfman se lance dans la realisation de Forbidden Zone, en 1980. Film d'horreur realise avec quelques morceaux de scotch, des hectolitres de ketchup et un enthousiasme inversement proportionnel a son budget, Forbidden Zone est accompagne par les compositions musicales de Danny qui fait ainsi ses premiers pas dans le milieu du cinema. Aujourd'hui encore, ce tres decale film amateur realise cependant avec professionnalisme conserve un statut-culte aupres d'une certaine jeunesse branchee americaine.

Danny & Tim

Parmi les premiers fans de Mystic Knight Of The Oingo Boingo se trouve un jeune animateur de dessins animes, fraichement engage par les studios Disney ayant quelques velleites de realisation a l'aube des annees 80. Souffle par la qualite de l'habillage musical de Forbidden Zone, Tim Burton contacte Danny Elfman pour les besoins d'un projet qu'il porte avec l'animateur de television pour enfants Paul Reubens, autre fan du groupe : Pee Wee's Big Adventure (1985). Elfman accepte de contribuer au metrage, mais, une fois celui-ci mis en boite, regrette d'avoir contribue a gacher le film par ses musiques. Grossiere erreur : le film est un succes a travers tous les Etats-Unis et une solide amitie s'installe entre Burton et Elfman, qui laisse augurer leurs futures collaborations, en depit des caracteres tres forts (pour ne pas dire ? de cochon ?) des deux hommes, capables de claquer la porte en hurlant et de se reconcilier aussitot apres pour mieux se reprendre le bec dans les minutes qui suivent. Importe peu les frictions : le dynamique tandem est desormais constitue et le meilleur reste a venir.

Des Mystic Knights au Dark Knight

S'il ne se lance pas immediatement dans l'ecriture de la musique de films et continue a tourner avec Oingo Boingo, Danny Elfman n'en repond pas moins aux quelques sollicitations de Tim Burton dans les temps qui suivent. Tout d'abord pour les besoins d'un episode de la serie Alfred Hitchcock presente, que Burton realise, puis, pour ceux d'un ambitieux projet du metteur en scene, Beetlejuice (1988). Si le film lance la carriere du realisateur, la bande originale, et surtout le morceau ? Day-O ? interprete par Harry Belafonte, fait d'Elfman un compositeur de musiques de films bankable, quand bien meme certains critiques lui reprochent son style trop debride et sa methode de creation heterodoxe. Mais si Beetlejuice contribue a faire des deux hommes des gens qu'Hollywood commence a regarder avec interet, c'est leur collaboration suivante qui les propulse au sommet.

A la fin des annees 1980, le film de super-heros est un genre en desherence, ne faisant plus guere recette depuis les derniers Superman et les adaptations malheureuses des 4 Fantastiques (de Roger Corman, dans une version jamais sortie au cinema) et du Punisher (avec Dolph Lundgren). La Warner, pourtant, a decide de miser quelques millions sur un renouveau du genre en mettant en chantier une adaptation du Chevalier Noir de Gotham City, la premiere depuis le film semi-parodique de 1966. Le projet de ce Batman effraie un peu Elfman, qui fait part de ses doutes a Burton, lequel l'impose cependant a la conception sonore de l'univers du Dark Knight. Un temps pressenti pour interpreter le morceau-phare de la bande oirignale, Michael Jackson est ecarte au profit de Prince, dont la ? Batdance ? tres marquee par son temps, doit constituer le produit d'appel majeur de la bande-son. Quelques annees plus tard, si tout le monde a oublie le morceau de Prince, tous les cinephiles gardent en tete le theme d'ouverture compose par Elfman, qui sera repris dans les suites, mais aussi dans la serie animee de 1992, tant il colle parfaitement avec l'ambiance gothique que Burton a elabore autour de l'univers du Carpet Crusader.



Les goths et les geeks


L'arrivee de l'electron-libre Elfman dans le Landerneau des compositeurs de musique pour le cinema est loin de faire l'unanimite. Le chanteur d'Oingo Boingo doit en effet, essuyer les platres de critiques acerbes lui reprochant ses methodes de travail et sous-entendant meme de maniere diffamatoire qu'il ne serait qu'un prete-nom derriere lequel se dissimuleraient d'autres compositeurs bien plus prestigieux (le nom de John Williams circule alors). Qu'importe car deux autres commandes majeures lui sont bientot passees, mais pour la television cette fois. Celle du dessin anime satirique de Matt Groening, Les Simpson, tout d'abord, puis le generique d'une serie de courts-metrages d'horreur, Les Contes de la Crypte. Dans les deux cas, Elfman s'en tire avec les honneurs et ses melodies sont encore dans la memoire des amateurs. Puisant son inspiration aussi bien dans le punk rock que chez les compositeurs classiques, Danny Elfman commence a devenir un auteur apprecie par certains mouvements esthetisants, notamment les gothiques, qui se retrouvent en phase avec ses musiques de film, contribuant a faire du compositeur l'une des references de la ? contre-culture ?.

Un phenomene qui n'echappe pas a plusieurs realisateurs qui lui demandent de composer pour eux. S'il est amene a travailler pour Warren Beatty (Dick Tracy) ou Clive Barker (Nightbreed), Danny Elfman commence, des 1990 a travailler avec un autre geek dans la lignee de Burton avec qui il entame une collaboration riche (bien que pas autant fusionnelle qu'avec le realisateur de Beetlejuice) : Sam Raimi. Propulse par le succes d'Evil Dead, Sam Raimi est de la meme trempe que Tim Burton ou Danny Elfman lui-meme, l'un de ces nerds biberonnes aux comics, au punk rock et aux series B qui deviennent les valeurs montantes d'Hollywood. Si leur premiere collaboration passe relativement inapercue (Darkman, en 1990), les deux hommes resteront fideles l'un a l'autre pour les futures productions de Raimi, d'Evil Dead III : l'Armee des Tenebres (en 1993) a Spider Man (en 2002).

En depit de ses nombreuses participations aux musiques du cinema hollywoodien, Elfman reste avant tout fidele aux univers gothico-romantiques de son ami Tim Burton avec lesquels ses morceaux atteignent l'osmose complete. Au duo Burton / Elfman vient s'ajouter un troisieme larron, l'acteur Johnny Depp, veritable receptacle des creations des deux autres, capable d'habiter et de s'accaparer les univers visuels et sonores des deux hommes pour en tirer le meilleur. Edward aux mains d'argent (Edward Scissorhands, en version originale - 1990) est la premiere collaboration entre les trois hommes et elle s'avere artistiquement efficace. Elle se poursuivra sans discontinuer au cours des annees futures avec Sleepy Hollow (1999), Charlie et la Chocolaterie ou Les Noces funebres en 2005. Seuls faux bonds, Elfman ne participe a l'ecriture ni des musiques d'Ed Wood (Howard Shore lui sera prefere) ni de celles de Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street (le livret de cette comedie musicale signe Stephen Sondheim et Jonathan Tunick preexistait a l'adaptation de Burton). Cabotin occasionnel, Elfman ne neglige pas de faire quelques apparences en vedette, en forme de clin d'?il au public initie, dans certaines productions, qu'il en ait assure la bande originale ou pas. On l'a ainsi vu dans Forbidden Zone (interpretant Satan en personne), et les fans de V.O. auront reconnu sa voix dans Les Noces funebres ou L'Etrange Noel de Mister Jack.



Danny aux mains d'argent


Regulierement nomine aux Emmy Awards ou dans d'autres ceremonies de recompenses musicales, Danny Elfman n'est plus le marginal de l'ecriture musicale qu'il a ete a ses debuts et dont, paradoxalement, la reputation atroce dans le milieu, loin de constituer un boulet, lui a ouvert les portes de la culture populaire. Cet esprit sautillant, desormais appele aussi bien par Barry Sonnenfeld que Peter Jackson, Gus Van Sant ou Rob Marshall, se voit proposer en 2005 la direction artistique de Serenada Schizophrana, une serie de compositions de facture classique interpretee par l'American Composers Orchestra sous la direction de John Mauceri et Steven Sloane. Une reconnaissance qui vaut tous les Oscars du monde pour ce fou de musique, qui, a force de talent, et surtout d'instinct musical, est parvenu a se hisser au niveau de ses confreres legendaires que sont John Williams et Ennio Morricone.

A la fin de la decennie, Danny Elfman renouvelle son amitie et son attachement a l'oeuvre de Tim Burton en composant la musique de l'adaptation (tres personnelle) du Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Sa partition d'Alice in Wonderland est publiee simultanement au film debut 2010. La meme annee sort le film The Wolfman dont il signe egalement la partition.

Copyright 2010 Music Story Benjamin D'Alguerre