Enfance pauvre
Joséphine Baker, de son vrai nom Freda Joséphine McDonald, naît le 3 juin 1906, à Saint Louis (Missouri). Elle est métisse noire et amérindienne ; ses parents avaient monté un numéro de chant et de danse. Mais, un an après la naissance de Joséphine, son père quitte le domicile familial ; sa mère, Carrie, aura ensuite trois autres enfants, qu’elle élèvera avec Joséphine dans la pauvreté et la sévérité. Après avoir été placée à huit ans dans une famille blanche pour y travailler, Joséphine s’assume dès l’âge de treize ans en gagnant son pain comme serveuse. Parallèlement, elle s’intéresse à la danse, et remporte son premier concours à l’âge de dix ans. Elle rejoint le Jones Family Band, un groupe de musiciens de rue. Les Jones sont embauchés pour combler le vide à l’entracte du spectacle des Dixie Steppers, une troupe en tournée à Saint Louis. Joséphine fait ses premiers pas sur une vraie scène et le directeur des Dixie Steppers l’embauche… comme habilleuse. La jeune fille suit la troupe à travers le pays et apprend réellement le métier du spectacle. En 1921, elle saisit une opportunité : remplaçant une danseuse blessée, elle intègre la revue pour tenir des emplois de «girl » comique. Mais son très jeune âge la freine encore dans ses ambitions : aussi décide-t-elle de tenter sa chance à New York. Elle finit par intégrer le spectacle Shuffle Along, une comédie musicale à succès intégralement interprétée par des Noirs. Multipliant les singeries, Joséphine Baker impose un personnage à la fois comique et sexy : de 1922 à 1924, elle a atteint une vraie notoriété.
La Revue Nègre
En 1925, c’est la grande occasion qui va permettre à Joséphine Baker d’entrer dans la légende : le Théâtre des Champs-Elysées, à la recherche de nouveaux spectacles, met sur pied la « Revue Nègre », interprétée par des artistes noirs américains (dont Sidney Bechet), qui apportent à la scène française le jazz, le ragtime et la fougue d’une musique que l’on n’appelle pas encore « afro-américaine ». Joséphine, désireuse de passer au-delà des emplois de girl comique, se laisse convaincre de s’expatrier. Le 2 octobre 1925, la Revue Nègre, mélange d’imagerie coloniale et de folklore américain, signe le début de Joséphine Baker sur une scène parisienne : vêtue d’une ceinture de bananes qui restera légendaire, elle danse de manière frénétique sur un air de Charleston – musique alors largement inconnue en France. La nouveauté totale de cette apparition dans l’événement artistique de 1925 apporte à la chanteuse une célébrité éclatante : elle est aussitôt l’attraction des cercles artistiques et intellectuels parisiens, allant jusqu’à faire figure d’« égérie des cubistes ». La danse extrêmement suggestive – et pour l’époque, à la limite de l’obscène – de Joséphine Baker, sa coupe de cheveux à la garçonne, en font à la fois une sorte d’emblème du féminisme et de la modernité, en même temps qu’un objet scénique résolument non identifié en France.
Les Folies Bergère
Elle se signale également par une vie privée quelque peu mouvementée, qui inspirera à son secrétaire, le futur écrivain Georges Simenon, un roman quelque peu égrillard. La Revue Nègre réalise une tournée européenne, à l’issue de laquelle sa vedette va tout simplement laisser tomber la troupe : Joséphine Baker a en effet décroché un contrat de meneuse de revue aux Folies-Bergère. Désormais star absolue de la scène parisienne, Joséphine se rend célèbre par ses apparitions sur la scène des Folies-Bergère. Représentée sur d’innombrables illustrations (portraits, cartes postales), la star à la ceinture de bananes, désormais plus emplumée au dernier degré, est devenue une image incontournable des Années Folles. Sur les conseils de son manager Giuseppe « Pepito » Abatino, Joséphine Baker entretient sa popularité par une tournée européenne qui suscite quelque controverse du fait des tenues légères de la vedette. Revenue à Paris, elle est engagée comme meneuse de revue au Casino de Paris, où elle fait sensation en promenant sur scène, en laisse, un impressionnant léopard. Elle s’impose en rivale très sérieuse pour Mistinguett sur la scène parisienne. Parallèlement, Joséphine se diversifie et se lance dans la chanson : la célèbre chanson « J’ai deux amours », composée par Vincent Scotto, est un grand succès de l’année 1931.
Avec Jean Gabin
Passer du statut de danseuse à celui de chanteuse lui permet d’abandonner progressivement celui de «petite sauvage » pour une image de diva plus prestigieuse et gratifiante. Elle tourne plusieurs films, mais se révèle une comédienne assez médiocre : sur le plateau du film Zouzou, pour pallier à ses insuffisances, le metteur en scène Marc Allégret fait la part belle au partenaire de Joséphine, un jeune premier nommé Jean Gabin, qui bénéficiera très nettement de cette exposition. Mais Joséphine Baker va connaître une rude rebuffade en 1936 : désireuse de s’imposer dans son pays natal, elle participe aux Ziegfeld Follies, mais les critiques sont désastreuses. Privée, aux yeux des américains, de l’exotisme qu’elle représente pour les européens, Joséphine n’est plus qu’une «négresse aux dents de lapin» et son accent, devenu hybride après tant d’années à l’étranger, déconcerte quelque peu. Malgré le succès d’un club qu’elle ouvre en parallèle à New York, elle finit par rentrer en France pour un nouvel engagement comme meneuse de revue aux Folies-Bergère. Elle acquiert la nationalité française en épousant Jean Lion, un riche marchand de sucre dont elle se séparera assez rapidement.
La Légion d'Honneur
En 1939, à la déclaration de guerre, Joséphine Baker est engagée comme agent de renseignement, chargée de surveiller la haute société, par les services secrets français. Réfugiée au Maroc durant l’Occupation, elle continue de transmettre des messages, parfois cachés dans des partitions musicales, pour le compte de la France Libre et de l’Armée de l’air. Elle se verra décerner la Légion d’Honneur pour ses services. En 1947, elle épouse le chef d’orchestre Jo Bouillon et achète avec lui un château en Dordogne, le Domaine des Milandes. En 1951, elle obtient enfin le succès dans son pays natal, avec une série de concerts où elle avait exigé que soit autorisée la mixité raciale du public. Très engagée contre les discriminations, Joséphine Baker, fantasque, se laissera cependant aller peu après à des déclarations politiques malencontreuses qui lui fermeront un temps le public des Etats-Unis.
Les Milandes
Joséphine Baker recueille et élève aux Milandes des enfants de toutes origines, qu’elle appelle sa « tribu arc-en-ciel ». Mais le domaine se révèlera malheureusement au fil des années un gouffre financier, où Joséphine Baker engloutira l’essentiel de sa fortune. En désaccord sur la gestion du domaine, Jo Bouillon et son épouse finissent par se séparer. Joséphine multiplie les concerts pour payer ses dettes et renflouer son domaine. Un temps considérée comme has been, elle se produit régulièrement à l’Olympia dans les années 1950-60 et s’impose, diva toujours vaillante, auprès d’une nouvelle génération de spectateurs. Elle obtient un grand succès en 1959 avec la revue Paris mes amours, qui permet à « The Fabulous Joséphine Baker » de retourner se produire aux Etats-Unis. Mais le stress de la gestion des Milandes et l’éducation de ses très nombreux enfants adoptifs a son effet sur la santé de Joséphine, qui ne cesse de se produire à un rythme accéléré pour éviter de devoir vendre son domaine. Elle obtiendra le soutien de personnalités comme Bruno Coquatrix ou Dalida pour maintenir les Milandes à flot mais finira par en être expulsée en 1969. Elle rebondit grâce à son activité artistique : elle se produit à La Goulue, au bal de la Croix-Rouge Monégasque. Avec l’aide de Grace de Monaco, elle s’installe à Roquebrune avec sa tribu. En 1973, elle se produit avec succès au Carnegie Hall de New York. Le 8 avril 1975, elle entame à Bobino, devant un parterre de personnalités et un public venu en masse, un spectacle célébrant ses cinquante ans de carrière. Mais cette apothéose sera brève : le 12 avril 1975, s’étant endormie pour une sieste, elle ne se réveille pas et meurt d’une hémorragie cérébrale. Ses funérailles, suivies par la télévision, attirent un immense cortège.
Diva aujourd’hui statufiée, Joséphine Baker aura contribué à introduire en Europe, de manière fracassante, la musique noire américaine et une forme de sensualité débridée alors inédite pour le grand public. Au-delà de l’image d’Epinal du régime de bananes, Joséphine Baker aura été, plus encore qu’une chanteuse et danseuse excentrique, une authentique personnalité, dont la portée humaine éclipse le mérite artistique. Elle aura été néanmoins au confluent des modes et des imageries, incarnant une vision idéalisée du nègre, puis une nostalgie du glamour hollywoodien, sans cesser avant tout, de représenter jusqu’au bout, un type de femme de spectacle libre et magistral.
Copyright 2010 Music Story Nikita Malliarakis
- 2009