Odeurs frôle le bon goût sans jamais y sombrer !
Un pari fou car ambitieux. Une formation qui ne se prendrait pas au sérieux, mais tout de même assez prétentieuse pour à chaque nouvelle chanson imposer une ambiance inédite. Un grand mix façon tour de Babel qui puiserait dans la variète ringarde et le tempo binaire ses inspirations, histoire de donner un sens à ses gaudrioles. Rien d’autre qu’une grande farce donc, un groupe né pour se marrer et qui se retrouve à tourner à guichets fermés. Ceci est l’histoire d’Odeurs.
Odeurs est la formation de l’ex Au Bonheur Des Dames, Ramon Pïpin. Ce dernier reprend sa liberté après l’énorme succès de "Oh les filles !", parce qu’il en a assez de se cantonner au néo twist. Ses envies musicales ne sont pas rassasiées. On est en l’an 1975, Alain Ranval, c’est son vrai nom, a monté un studio d’enregistrement, Ramsès, et va donc disposer de tout son temps pour expérimenter ses idées. Son moteur ? La déconnade.
« Je n’ai d’autre idée au départ que de me marrer. Costric, qui a déjà écrit des textes pour Au Bonheur Des Dames est aussi enthousiaste que moi et paré pour de nouvelles aventures. On décide donc de donner vie à nos désirs les plus inavouables, avec le soutien de quelques musiciens amis : Manu Katché, Sylvin Marc, Didier Lockwood, Richard Pinhas... Lorsque ces derniers sont de passage au studio, ça les amuse de nous prêter main-forte. La bande s’agrandit de jour en jour et les contributions se font au fil des rencontres, c’est pour cela que ça ressemble à un grand n’importe quoi. On peut passer d’une parodie de Michel Delpech "Youpi, la France !!" à une reprise des Beatles "I Want To Hold You Hand" déclamée par des officiers Allemands, d’un rock mou "Je suis mou" à une chanson façon Gainsbourg "Douce crème" sans oublier un texte nihiliste "Sex Bazooka" pour finir avec une chorale de petits enfants qui chantent des horreurs "Le Vilain petit zoziau"… Le principal dans tout cela, c’est que ça nous plaise, comme une grande farce.
Au début ça n’intéresse aucun label, la ligne directrice n’est peut-être pas facile à appréhender. Au bout de quelques mois de tractations, Polydor sort un album en 1979 qui s’intitule, Ramon Pipin’s Odeurs. C’est un succès, il se vend à 70.000 copies. On passe même à Chorus l’émission du petit écran présentée par Antoine De Caunes. Dans la foulée, nos concerts affichent complet... Nous n’avons aucune limite et pouvons nous retrouver à plus de trente sur scène. Un deuxième 33 tours est programmé dans la foulée, 1980 : No Sex ! il marche aussi très bien même s’il n’y a pas à proprement parler de single formaté radio. »
C’est même là que se situe le nœud du problème, Odeurs est un groupe qui n’a pas de 45 tours, donc pas de morceau à mettre en avant et d’image à prévaloir. Une formation sans étiquette, qui fonctionne avec un bouche à oreille très favorable mais qui se moque éperdument du business. La preuve, lors d’un festival au Pavillon Baltard organisé par Europe 1, Ramon reprend à son compte le slogan de la station : Europe 1 c’est naturel… de ne pas les payer ! Ils sont effectivement les seuls de la soirée à ne pas être rémunérés... Boycott complet de la station qui ne supporte pas la plaisanterie, l’une des rares qui aurait pu les diffuser. Sans soutien des ondes, heureusement que les prestations sont épiques, ce qui pourrait déboucher sur une solide béquille en la personne de la presse écrite, mais cette dernière ne goûte pas non plus beaucoup à cette gigantesque plaisanterie. Trop météorite. Trop branchée sur le franchouillard à la manière de Hara-Kiri. Trop référentielle d’un esprit gaulois aux antipodes de l’intelligentsia rock. Trop insaisissable, surtout en concert au cela tourne au Music Hall avec une multitude de mises en situation. Trop fouillis. Trop personnelle. Trop… Décidément, Odeur ne fait rien comme les autres. Mais c’est justement cette originalité qui leur vaut un soutien indéfectible des convertis. La secte des grands adorateurs ne cesse de voir le nombre de ses adeptes croître. Les concerts restent leur meilleure propagande.
« L’une de mes plus grosses inspirations pour les concerts, ce sont les Tubes et leur passage à l’Olympia. A la base ce sont des super-musiciens, un morceau comme "White Punks On Dope" est imparable, mais surtout il y a un habillage. Plein de sketchs écrits spécialement et qui habillent le répertoire. Avec Odeurs, c’est cet esprit-là qu’on essaye de s’approprier, avec un côté franchouillard évident parce qu’on est né de ce côté-ci de l’Atlantique et qu’on ne peut le renier. Pour la première tournée, nous sommes trente-neuf… Nous multiplions les sketches et les illustrations visuelles, c’est évident que c’est assez novateur et le public adhère tout de suite. Il y a une participation évidente, ne serait-ce parce qu’on ne commence jamais sans les apiculteurs qui distillent un parfum à base de céleri. »
Malgré de très bonnes ventes, Polydor ne retient pas Odeurs pour un troisième album. C’est la firme RCA qui hérite du dossier De L’Amour commercialisé en 1981, mais malheureusement ce qui aurait dû être une consécration devient un échec. RCA ne sait pas travailler une telle œuvre. Elle n’y entend rien.
« Ce disque intervient à une époque où je suis très ami avec Jean-Philippe Goude, je décide donc de faire ce troisième LP avec lui. Il est beaucoup plus synthétique, plus sophistiqué que les deux premiers, on passe énormément de temps en studio et Costric perd de son influence. C’est un disque sur lequel il n’y a que des chansons d’amour comme son nom l’indique, mais des histoires qui sortent de l’ordinaire : celle d’une fourchette amoureuse d’un couteau, de deux personnes qui habitent à des milliers de kilomètres qui ne se rencontreront jamais, d’un boxeur amoureux de son adversaire… Nous sommes invités de nombreuses fois à la télé pour le simple "Que c'est bon (Quand tu me déshabilles)" mais Clarabelle, la chanteuse est habillé en poulet et ça ne passe pas… Pourtant c’est une époque assez faste car Coluche nous fait les yeux doux. Il adore le groupe et n’hésite pas à reprendre l’un de nos titres sur scène ("Je m’aime"). Trevor Horn, qui joue alors avec les Buggles, a également craqué et veut absolument nous produire. Mais je ne saisis aucune de ces opportunités. J’ai peur des ingérences extérieures, celle de Paul Lederman l’impresario de Coluche ou encore pire, celle d’un Anglais... Le troisième disque ne se vend pas beaucoup, et pour tourner, on est obligé de sacrément réduire les équipes, nous ne sommes plus que dix. » Odeurs ne va pas tarder à tirer sa révérence. Un dernier album, Toujours Plus Haut sort au début de l’année 1983, avec comme point d’orgue une éructation sans écho, "Le Cri du kangourou". S’en suit une série de concert au Gymnase, au mois de juin, donnant lieu à un live, Enregistrement Public Disque Optimiste, et c’est tout. Odeurs se termine un peu en queue de poisson, faute de combattants… Alors pour ne pas être trop marqué, Ramon Pipin enchaîne tout de suite sur un album solo, Nous Sommes Tous Frères (1985) qui sonne très Depeche Mode. Malgré plusieurs perles, la chanson signée Laurent Baffie "Tu m'as fait mal à mon p'tit coeur" notamment, leur label habitué aux disques pour enfants ne sait pas du tout comment vendre cet objet. La collaboration est éphémère, pourtant le deuxième enregistrement solo est prêt.
« Chez Fnac Musique, je signe avec le directeur général qui se casse deux jours après mon arrivée. Dans ces conditions Bye Bye Vinyl (1987), est quasiment mort né... J’enregistrerai plusieurs années après un ultime album pour le label New Rose, Ready Steady Go (1992). Ce ne sont que des adaptations de rock Anglais des années 60 : "Happenings Ten Years Time Ago" (Les Happenings de mes 18 ans) des Yardbirds, "C'est plus fort que moi" (I Can't Control Myself) des Troggs, "Mon pote Jack" (My Friend Jack) de Smoke et "La porte du jardin" (Hey Gyp) de Donovan qui passe presque en boucle sur la radio Oui FM. Problème, c’est une chanson sur la sodomie et nulle part ailleurs on ne pourra l’entendre... Le premier concert que j’ai vu c’était les Shadows. Je grandis avec cette musique, les Yardbirds, les Who, les Beatles, Hendrix, le son Anglais… Je suis marqué à vie par cette débauche de créativité absolument incroyable et je pense que c’est une bonne conclusion à ma discographie. Car après un clip rejeté par M6, je décide de jeter l’éponge. Les relations avec les gens des maisons de disques sont de plus en plus difficiles, et comme en parallèle, j’ai d’autres activités, je m’en moque. J’ai réalisé plusieurs albums pour Renaud dès lès débuts d’Odeurs, je compose pour la publicité, je participe aux débuts de l’Affaire Luis Trio, et désormais je compose des bandes originales de films... »
Aujourd’hui, les huit albums sont réédités et agrémentés de nombreux inédits, tel cet opéra rock consacré à Tommy Lobo, une histoire de manipulation génétique… Pourquoi un tel retour ? Parce qu’Odeurs n’a peut être pas la place qu’il mérite dans les livres d’histoires et qu’il reste des fans non rassasiés. Parce qu’aussi une bonne tranche de rigolade n’a jamais fait de mal à personne. Vous en reprendriez bien une effluve…
Christian Eudeline
- 2008